mardi 9 avril 2024

                                                         Une vie de soliste.


Il est vingt heures. On est assis, chacun dans son fauteuil, tranquillement, les lumières vont s'éteindre. 

Elles s'éteignent. 

La scène  s'illumine. 

L'artiste entre côté jardin, s'incline la main gauche le long du corps ou posée sur le cadre du grand piano noir. 

Il  s'assoit. 

Des secondes passent. 

Les tousseurs continuent de tousser. (Alexandre Tharaud a écrit: "Paris, en ses théâtres, tousse plus qu'aucune ville au monde.").  

Je "chuuuuutais" avant que le soliste commence à jouer, espérant qu'ainsi, on le laisserait se concentrer.  Dans le silence. En vain.

Christine m'a dit que "chuuuuuter" ajoutait au désordre. Elle avait raison; j'ai cessé.

Lui, le soliste,  est déjà ailleurs, peut-être ne les entend-il pas ces toux inciviles. 

 D'un coup, un note, un accord,  un arpège,  le bonheur commence servi par un personnage dont une caractéristique essentielle de la vie qu'il mène est qu'il est seul.  Avec son art, mais seul.

Seul dans le taxi qui le conduit à l'aéroport, seul dans l'avion qui l'emmène à New-York à Tokyo, à Pékin, ou Buenos-Aires.

Seul, en arrivant dans la chambre d'hôtel que son agent lui a réservée.

Seul jusqu'à la répétition, ou jusqu'au concert. 

Seul dans la chambre qu'il aura retrouvée, une fois le concert terminé et les dédicaces signées.

Il essaiera d'y dormir.  Seul.

Je suis dans mon fauteuil, Christine à mon côté et moi au sien. Le soliste va combler notre  soirée, sans doute. 

Concentrée, elle ne manquera rien. Comme si elle était dans le piano. Une fois le récital commencé, elle n'entend plus les tousseurs. Je l'admire.

Je me rappelle, l'immense Nelson Freire, à la Roque-d'Anthéron, entrant sur scène, petit bonhomme à la marche dynamique et au regard rieur dans son smoking beige. Le voir était un rêve enfin accompli.

 Quand il a plaqué le premier accord du concerto en la de Schumann, quelques larmes me sont venues.

Pas une seconde, me suis-je dis: "ce brésilien génial , quel sacrifice de vie, pour une telle passion et au service d'un tel art! Quel sacrifice de vie pour nous faire rayonner de bonheur et un instant se dire que peut-être, là-haut..."

En 2012 j'avais rencontré un des jeunes et brillants solistes français. Déjà célèbre, il est depuis mondialement demandé. Il m'avait dit: "Si j'ai des enfants, je ne les encouragerai pas à me suivre. Ce que je vis est merveilleux, mais on est tellement seul, toujours tellement seul".

Trois ans plus tard, mon vieil ami Jean-Bernard Pommier, donnait à Gaveau en huit récitals l'intégrale des 32 sonates de Beethoven. (En 2006 son intégrale  des même sonates avait obtenu un Diapason d'or.)

 Le 19 juin après l'ultime Opus 111, nous étions allés le voir dans sa loge, émus par une interprétation sublime.

Christine et moi lui avions proposé de dîner avec nous. Il nous avait répondu:

"Hélas! J'ai joué avec 39 de fièvre et je dois filer à Roissy. Demain matin, envol pour Bangkok".

Nous nous sommes embrassés, il est monté dans son taxi. Je l'ai retrouvé en septembre... à Liège. Après il s'envolait pour je ne sais plus où.

Alexandre Tharaud, merveilleux pianiste  lui aussi, de vingt ans son cadet a écrit dans son livre "Montrez-moi vos mains", que dans le mot "soliste", le suffixe "iste" signifie "faire profession".

Le chauffagiste fait profession de s'occuper du chauffage. 

Le soliste fait profession d'être seul.



La semaine prochaine Croques-notes fait relâche.

mardi 2 avril 2024

                                                     C'est l'histoire d'un mec...

(Libre variation sur une idée originale de Coluche)


 C'est l'histoire d'un "mec" qui est intelligent - pensez, il est diplômé de polytechnique- , travailleur, courageux et qui, pour parler cru, "en a".

Il a commencé jeune dans les petits câblos-opérateurs ,  a racheté Numericable, devenu Noos, puis SFR a fusionné les deux, a étendu son groupe au Portugal en Israel et aux États-Unis notamment.

Et comme il est intelligent, "le mec",  il a très tôt compris qu'en utilisant l'effet de levier, on pouvait aller vite sans mettre beaucoup d'argent. Voire sans en mettre du tout. 

Le principe de l'effet de levier est simple. Vous rachetez une entreprise  en large partie avec de la dette. Vous restructurez ce qui a besoin de l'être, revisitez les frais généraux pour les ajuster aux nécessités de l'entreprise, vous demandez aux fournisseurs de faire un effort sur les délais de paiement, vous redéfinissez si besoin la gamme des produits et  dynamisez la politique commerciale.  Au total, vous augmentez la performance de l'entreprise qui vous permet de dégager les ressources nécessaires au remboursement de la dette contractée pour son achat. Au passage, vous avez augmenté la valeur de l'entreprise, légitimant ainsi le risque vous avez pris.

C'est dur, il faut se battre, mais il n'y a là rien de choquant et généralement, quand c'est bien fait, salariés et clients sont eux aussi contents.

Sauf qu'il arrive, que certains, comme "le mec", assoient leurs opérations sur un maximum de dette, jusqu'à 100% parfois et qu'il se trouve des prêteurs que cela ne choque pas.

Dans ce cas tout change:

Il faut passer les frais généraux à la râpe,  diminuer drastiquement les frais de personnel - jusqu'à la corde-  généraliser le stress, et tordre le cou aux fournisseurs  qui n'ont d'autre chois qu'accepter s'ils veulent non seulement continuer à fournir mais aussi tout simplement être payés.

 Une fois cela fait vous avez dégagé assez de marge et généré assez de trésorerie dans laquelle vous allez puiser pour rembourser la dette. 

Ei vous avez bien sur augmenté la valeur de l'entreprise; c'est le seul but d'ailleurs.

Facile à dire pas facile à bien faire.  Je le reconnais...

Mais comme disait Devos: Quoi que...

 Si la morale et l'éthique dans la conduite des affaires sont pour vous un non-sujet , alors, il suffit de recruter une armée de sicaires bien payés - c'est assez facile - et les choses se font. 

Croyez-moi l'armée de sicaires se rentabilise vite.

Vous avez compris que "le mec" sait faire. 

C'est très dur pour les fournisseurs, très dur pour les équipes, et pas génial pour les clients car,  pour faire plaisir aux clients, il faut  avoir des produits et un service de qualité. Il ne faut pas gripper la machine à force de la raboter. Il faut être inventif sur la gamme de produits et il faut que le personnel soit suffisamment heureux et motivé.

 Mais, ça tant que ça marche, comme dirait l'autre "c'est la vie des affaires".

Les banquiers et les fonds sont contents; ils ont prêté à des taux généralement élevés et sont remboursés. On ne peut pas leur reprocher; ils ont pris un risque après tout. 

Chemin faisant, "le mec" a acquis une réelle reconnaissance de la part des banques et des marchés.

Alors il continue, emprunte beaucoup, émet des emprunts obligataires que des fonds souscrivent avec joie. Tout va pour le mieux. 

Mais il y a des choses qu'il n'a pas vues, "le mec", ou ne veut pas voir -il est vrai que l'hubris rend malvoyant-.

Il existe des concurrents qui ne sont pas forcément idiots.

 Ils savent comment prendre des parts de marchés. 

Ils savent qu'un client mécontent est un client qui part et ils l'attendent à la porte.

Ils ont sans doute davantage conscience qu'une entreprise doit, pour prospérer durablement se rapprocher le plus possible d'un triangle équilatéral: la satisfaction doit se répartir le plus également possible entre, le client, l'actionnaire et le personnel. 

On doit donc penser aux trois et "le mec", il pense surtout , doux euphémisme , à l'actionnaire qu'il est.

Chemin faisant, il accumule les milliards de dettes, beaucoup plus vite que les milliards de chiffre d'affaires et encore plus que les milliards de marge. 

On continue pourtant. 

Tout est bien organisé, il faut le reconnaître:

Holding au Luxembourg, cotation à Amsterdam, participation personnelle dans un paradis fiscal britannique, résidence principale en Suisse..."C'est la vie des affaires".

Mais voilà:

-  comme les arbres ne montent pas jusqu'au ciel,

- comme les crises existent, 

- comme , quand le personnel en a assez, les meilleurs partent, 

- comme les concurrents focalisés sur le business plus que sur les montages financiers vous prennent des clients, puis de plus en plus de clients, puis énormément de clients,  eh bien tout à coup le roi est dénudé. 

Comme chez Andersen, il en est qui s'en aperçoivent.

Alors, on s'inquiète, on dit:

-  Rappelez-moi, "c'est combien la dette ?

- 24 milliards d'euros.

- Non... Vous devez vous tromper ! 

- Non non, c'est bien ça. Mais ne vous inquiétez pas, "le mec" a dit il y a peu, que la dette de son groupe n'était pas un sujet. 

Regardez son parcours, tout de même. Et puis il ne peut pas ne pas rembourser. Imaginez donc!

- Ça s'est pourtant vu.

- Sans doute mais là ce n'est pas la même chose. C'est trop gros et le groupe n'est pas en faillite. 

Pourtant d'un coup on s'est aperçu que quand "le mec" avait dit :  "ce n'est pas un sujet", il voulait tout simplement dire: "ce n'est pas un sujet pour moi".  Car, je n'a pas l'intention de vous rembourser... Sauf si,  sur le 24 milliards que je vous dois vous en abandonnez 8." 

Il a chargé son directeur financier de le dire pour lui.

"Le mec" s'appelle Patrick Drahi. Il ne terminera pas sous les ponts rassurez-vous. 

Les créanciers sont des banques et des fonds; ils souffriront mais  s'en remettront. 

Eux oui.

..."C'est la vie des affaires"

Après tout ce n'est pas la première fois que le financement excessif par la dette, les montages exotiques conduisent à des catastrophes.

1987, 1992, 2008, ce n'est pas si vieux.

Chaque fois, ce n'est pas la même chose.

Chaque fois ç'est pourtant pareil.

Croyez-moi il y aura d'autres "ce n'est pas la même chose".

Pâque est passée, les cloches repasseront.


A mardi prochain.







mardi 26 mars 2024

 


                                                                    NOIR


Ayant en mains un des deux volumes que la Pléiade a consacrés à l'oeuvre d'Albert Camus, j'entreprends de relire La Chute. 

Publié en 1956, chez Gallimard, ce récit est une des dernières oeuvres de Camus qui mourra dans un accident de voiture en 1960, à 46 ans, avec son éditeur Michel Gallimard, au volant d'une Facel-Vega. J'avais dix ans, les Facel-Vega étaient alors assemblées dans ma bonne ville de Dreux. C'étaient de bien belles voitures; elles ont disparu elles-aussi.

La Chute est un court récit, pessimiste, sombre, sur la petitesse, la lâcheté et la noirceur de l'humanité.

Un monologue d'un homme qui a fui la brillance parisienne de sa condition pour se réfugier à Amsterdam, ville de marins et de prostituées, où il se confesse à des inconnus, se déclarant juge-pénitent. Ici à un homme, qui vient de Paris. 

J'ai donc relu La chute.

  Une femme tombe dans la Seine, l'homme est là et ne fait rien. Double métaphore d'un monde qui s'enfonce et de voyeurs passifs qui le regarde sombrer. 

"Je m'arrêtais net, mais sans me retourner. Presqu'aussitôt, j'entendis un cri, plusieurs fois répété, qui descendait lui aussi le fleuve, puis s'éteignit brusquement.... Je me disais qu'il fallait faire vite et sentais une faiblisse irrésistible envahir mon corps. J'ai oublié ce que j'ai pensé alors."Trop tard, trop loin..."ou quelque chose de ce genre. Puis, à petits pas, sous la pluie, je m'éloignais. Je ne prévins personne"

Plus loin:

"Le châtiment sans jugement est supportable. Il a un nom d'ailleurs qui garantit notre innocence: le malheur"

Et encore:

"Comme il est difficile d'y couper (au jugement des autres).. ils cherchent la richesse. ...parce que la richesse soustrait au jugement immédiat, vous retire de la foule du métro pour vous enfermer dans une carrosserie nickelée, vous isole dans de vastes parcs gardés, des wagons-lits, des cabines de luxe. La richesse cher ami, ce n'est pas encore l'acquittement, mais le sursis, toujours bon à prendre"

Alors que je viens de lire cette phrase, je vois dans un kiosque à journaux, en bonne place, la couverture de "Madame Figaro":

Brigitte Macron, femme du président de la République si ma mémoire ne me fait pas défaut, pimpante, souriante,  veste en jean, chic et coûteuse probablement, épaule droite contre l'épaule gauche de Nicolas Ghesquière ,veste en jean lui aussi, et à titre principal directeur artistique des "collections femmes de Louis Vuitton.

Quand passant eux-aussi devant un kiosque,  que vont penser le petit cultivateur qui n'y arrive pas, le chômeur qui voit approcher la fin de ses droits, l'étudiant qui peine à se loger et à se nourrir, l'aide-soignante qui court prendre son bus pour arriver à l'heure à l'hôpital ?

"Ils n'en ont rien à foutre" voilà ce qu'ils vont penser et ils voteront pour les extrêmes. 

Noire perspective.


Samedi, Chroniques de Téhéran, petit film, d'à peine 1h20. Neuf plans fixes sur:

 Un père qui n'arrive pas à faire enregistrer le prénom de son fils parce que David, ce n'est pas permis

Une petite fille qui, pantalon de sport et sweat,  danse écouteurs sur les oreilles dans un magasin de vêtements pendant que sa mère choisit  sa tenue de rentrée dans la grande école.  On la couvre de voiles, ses magnifiques cheveux disparaissent et ses mains aussi. Quand sa mère part régler elle retire et laisse à terre ce qu'on lui a imposé,  puis reprend ses écouteurs.

Une jeune femme chauffeur de taxi, qui a été filmée au volant sans son voile; on lui a confisqué sa voiture.

Un ouvrier au chômage qui, pour réussir son entretien d'embauche doit répondre à des questions sur le Coran. On devine, qu'ayant d'abord mimé le lavement du bras gauche avant celui du bras droit, il ne sera pas pris.

...

Et pour finir, un réalisateur qui interrogé par un censeur,, lequel un an avant était fonctionnaire au ministère des transports,  est contraint d'émasculer son scénario, par paquets

Sur chaque plan fixe on ne voit que les opprimés, mais on entend la voit des oppresseurs.

Noir,  comme la robe des ayatollahs.


Retour à Camus, théâtre, Caligula:

 Caligula à Caesonia:

"Je vis, je tue, j'exerce le pouvoir délirant des destructeurs, auprès de quoi celui du créateur paraît une singerie. C'est cela être heureux. C'est cela le bonheur, cette insupportable délivrance, cet universel mépris, le sang, la haine autour de moi, cet isolement non pareil de l'homme qui tient toute sa vie sous son regard, la joie démesurée de l'assassin impuni, cette logique implacable qui broie les vies humaines..."

Quand je regarde vers l'est...

Noir absolu.


En juin, j'espère aller à Rodez, puis à Conques, admirer les Noirs de Soulages. Eux sont emplis de lumière. 


                                                          XXXX

Jean-Paul Dubois, prix Goncourt 2019 pour le beau Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon écrit ses livres au mois de mars et les termine en 30 jours. 8 pages par jour.  Il vient de publier L'origine des larmes (Acte Sud) écrit par exception en été sous la canicule . 

C'est une livre foisonnant, bourré d'idées, dont le thème principal est l'impossibilité de se débarrasser de l'image du père. Il pleut à verse depuis deux ans, nous sommes en 2031. Le personnage principal a tiré deux balles dans le crâne de son père; mort depuis quinze jours. Il est condamné à une thérapie. 

C'est ce qu'on suit.

Pour dire vrai, je préfère quand Jean-Paul Dubois écrit en mars. 

                                                          XXXX

Veniceland premier livre d'Olivia Dufour, par ailleurs chroniqueuse juridique de talent, publié chez l'Altana. 

 Ecriture alerte, culture incontestable, passion pour Venise, invention savoureuse et révolte bouillonnante. Sorte de thriller, habité par des personnages étonnants, prétexte à une dénonciation des excès et des pertes de repères d'un monde obsédé par l'argent.

Jolie surprise, vraiment. 

Puisse Madame Dufour ne pas s'arrêter là.




mardi 19 mars 2024

                                            Après le 7 octobre 



Sur mon bureau, le dernier livre  de Delphine Horvilleur rabbin, philosophe  et impressionnante intellectuelle. 

Son titre "Comment ça va pas?"

Son sous-titre "Conversations après le 7 octobre"

En exergue: un poème de Mahmoud Darwich, poète palestinien, qui commence ainsi:

"Quand tu prépares ton petit-déjeuner, pense aux autres

(N'oublie pas la graine pour la colombe).

Et se termine par:

"Quand tu penses aux autres au loin, pense à toi.

(Dis-toi: si seulement je pouvais être une bougie dans le noir!)


J'avais lu à sa sortie en 2021 "Vivre avec nos morts" et vu en 2023 sa pièce "Il n'y a pas d'Ajar".

Deux ouvrages d'une grande force et d'une belle hauteur d'âme , nourris d'une culture impressionnante et d'un intelligence "lasérienne".

Son petit livre de 150 pages, est un cri poussé sous la forme de onze conversations avec la douleur,  avec ses grands-parents, avec la paranoïa juive... et à la toute fin avec le Messie. 

C'est pour moi, le contraire d'une démarche de réhabilitation de l'âme juive ,  car elle n'a pas à être réhabilitée, elle n'a rien commis, qui justifie ni la haine qu'on lui voue, ni la barbarie  du 7 octobre.

Elle essaie de comprendre de s'éclairer elle-même -dont la fonction est pourtant d'éclairer les autres-  car elle est perdue.

Elle interroge, la haine multi-séculaires du juif, et se pose la question de ses origines.

Delphine Horvilleur écrit:

"Je ne peux m'empêcher de penser à son (la haine)  terreau théologique. A ce qui a rendu le juif détestable ou maudit, pour tant de penseurs, chrétiens ou musulmans"

Oui, les juifs sont haïs.

On leur reproche pêle-mêle, la mort du Christ, leur soi-disante main-mise sur la finance, leur soi-disante domination par l'argent, leur soi-disante soif du pouvoir, jusque dans l'art.

Dominique de Villepin  sentencieux hyperbolique, - qui c'est vrai a prononcé en son temps un fort beau discours au Conseil de Sécurité de l'ONU sur la base d'une position héroïque du président Chirac- , Villepin donc, à propos des juifs parle de domination financière "sur les médias, le monde de l'art et la musique".

Eh oui, Isaac Stern était juif, Daniel Barenboîm est juif, Zubin Mehta, Devinas, Grossmann et tant d'autres sont juifs et Romain Gary aussi l'était. Quand on désigne la domination financière, on provoque l'amalgame. On désigne aussi ces génies et on contribue fut-ce involontairement au ruissellement de la haine.

Ce qui est en jeu, ici c'est l'instrument d'une vengeance perpétuelle, fondée sur les causes du passé, c'est à dire les drames vécus, par ces deux peuples qu'instrumentalisent des barbares pour justifier les massacres qu'ils perpétuent.

Le génocide nazi, l'expulsion des palestiniens en 1948 au moment de la création des l'Etat d'Israël, puis les colonies versus les attentats et réciproquement.

Et ce que nous dit Delphine Horvilleur c'est:  mais Bon Dieu, à ce compte là, on n'y arrivera jamais! 

Il va bien falloir qu'on cesse de faire les comptes et qu'on se parle !

Il va bien falloir qu'on cesse de voir dans tous les israéliens des représentants de la force et dans tous les palestiniens des parangons du terrorisme.

Ils va bien falloir qu'on cesse de voir dans les juifs des êtres avides de puissance, elle qui est juive et qui, comme tant d'autres juifs la condamne. 

 Pourtant... oui pourtant, le 7 octobre la barbarie du Hamas  et depuis,  celle du gouvernement d'Israel.

La folie meurtrière du Hamas qui détient toujours plus de 130 otages, justifie-t-elle le massacre de femmes et d'enfants? 

Rien ne le justifie, mais certains l'autorisent, qui sont du même tonneau que les barbares du 7 octobre.

Ils se nomment Netanyahou , et ses alliés d'extrême droite et ultra- religieux au  gouvernement. 

Un Netanyahou qui sait qu'une fois refermées derrière lui les portes du pouvoir, verra s'ouvrir celles des juges et qui paie sa liberté d'une alliance détestable. 

Ce que nous dit Delphine Horvilleur c'est que Netanyahou, n'est pas Israel et davantage encore, n'est pas le peuple juif.

Il n'y a pas de bon côté dans cette macabre affaire

Ecoutons Delphine Horvilleur:

"Des salopards voudraient nous forcer à une surdité partielle, au nom du contexte, de mémoires sélectives ou de dettes identitaires. Il faudrait n'entendre que les voix qui hurlent d'un côté ou de l'autre".

En novembre 1991, j'étais en Ukraine, quinze jours avant le référendum d'autodétermination.

L'église gréco-catholique d'Ukraine, qui regroupe environ 5 millions de fidèles  avait été, historiquement, persécutée par les tsars puis interdite par les communistes.

Quand ceux-ci ont disparu, les fidèles ont rempli leurs églises. Pendant des décennies, la mémoire s'était clandestinement propagée. La pratique aussi, par toutes petites assemblées, sous le tapis.

Les persécutés ont la mémoire longue. 

Chaque balle qui tue fabrique le fusil de celui qui tuera.

Delphine Horvilleur l'a bien compris.

Elle termine son livre par la citation d'un texte écrit par un poète Israélien, Yehuda Amochai, rêvant que lui et Mahmoud Darwich sont en conversation dans l'au-delà.

Voici :

Le guide dit à des touristes

"Vous voyez cette voute datant de l'époque romaine ? Aucune importance! Ce qui compte, c'est qu'à côté, un peu en-dessous, à gauche, il y a un homme assis. Il a acheté des fruits et légumes pour sa famille".


A mardi prochain.



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mardi 12 mars 2024

                           Le Sceptre et la Plume 


Pendant quelques semaines un ami  m'a accompagné, un peu chaque jour. Cet ami est un livre magnifique "Le Sceptre et la Plume" de Bruno de Cessole, édité chez Perrin.

Bruno de Cessole est, journaliste, historien, critique littéraire et écrivain; une pointure en quelque sorte. 

Lauréat du prix Richelieu, puis du prix des Deux Magots, il est auréolé du prix Henri-Gral de l'Académie française pour l'ensemble de son oeuvre.

Le Sceptre et la Plume, ce sont 24 personnages historiques, tous hommes  politiques et de lettres ou amoureux de la littérature, écrivains ou poètes que Bruno de Cessole dessine d'une écriture somptueuse.

De Montaigne à Mitterrand en passant par  Napoléon, Chateaubriand, Victor Hugo, Clémenceau, Blum, et de Gaulle bien sûr.

Voilà comment, à propos de Montaigne, cet ouvrage commence:

"Faut-il croire à la sincérité d'un écrivain qui, d'emblée, dans son adresse au lecteur, jure qu'il n'a eu en écrivant, d'autre dessein que personnel et désintéressé. 

Tout  est du même tonneau. Chateau Ausone 1949, je vous l'assure. C'est du très grand.

Que de talent pour la synthèse il faut, pour faire tant dans si peu d'espace.

20 à 25 pages par sujet, et quels sujets !

Pascal avait écrit dans une de ses lettres  "Je n'ai fait cette lettre plus longue que parce que je n'ai pas eu le loisir de la faire plus courte".

Il est difficile de ne pas être bavard. 

Dans cet exercice, notamment, Bruno de Cessole atteint des sommets.

Il agrémente ses écrits de citations merveilleusement choisies, parfois longues, qui permettent au lecteur de mieux cerner l'oeuvre mais aussi , surtout peut-être, l'homme qui a la plume dans une main et  parfois l'épée dans l'autre, les accordant, l'une et l'autre.

Tenez :

Saint-Simon à propos de Louis XIV :

"Les louanges, disons mieux, la flatterie lui plaisait à tel point que les plus basses étaient les mieux savourées".


Napoléon, encore Bonaparte,  à son frère Lucien:

"J'ai lu ta proclamation; elle ne vaut rien. Il y a trop de mots et pas assez d'idées. Tu cours après le pathos, ce n'est pas ainsi qu'on parle aux peuples. Ils ont plus de tact et de sens que tu ne crois".


Hugo: 

"Je vous dénonce la misère, cette longue agonie du pauvre qui se termine par la mort du riche".


Clémenceau:

"En politique on succède à des imbéciles et on est remplacé par des incapables".


De Gaulle - que Bruno de Cessole nomme "Le dernier romancier de la France" -  à propos des français et de leur engagement pendant la guerre:

"Ceux qui avaient à choisir entre les biens matériels et l'âme de la France, les biens matériels ont choisi à leur place. Les possédants sont possédés parce qu'ils possèdent" .

Je cite cette dernière phrase dans un livre dont je vous entretiendrai sans doute un jour.

Sur Mitterrand il écrit:

"Tout au long de sa vie politique François Mitterrand aura eu des sincérités successives. Mais il est, au moins, une fidélité qu'il n'a jamais trahie, reniée ou mise en veilleuse: son amour de la littérature et son goût des écrivains".

Mitterrand clôture donc le prestigieux défilé.

 

Partageant sur ce livre avec l'ami très cher qui m'a engagé à faire ce blog, celui-ci eu cette phrase:

" Bruno de Cessole a réussi la prouesse de réconcilier l'inconciliable: la littérature et la politique".

Tout est dit.

Bruno de Cessole écrit dans son Introduction:

"Même si la figure de l'homme d'État-écrivain, que Charles de Gaulle et François Mitterrand furent sans doute les derniers à incarner, ne paraît pas reproductible, reste l'incitation à élever la politique à une altitude supérieure à la gestion des affaires courantes et à la satisfaction des intérêts catégoriels"


C'eût pu être tout autant la conclusion et l'espoir, que je n'espère pas vain, formulés dans ce très beau et très grand livre.








mardi 5 mars 2024

                   Anatomie d'une chute


J'ai revu Anatomie d'une chute.

Évacuons d'abord le sujet qui fâche, c'est à dire la prestation assez pitoyable de la réalisatrice, Justine Triet, lors de la remise de la Palme d'or au festival de Cannes.

Évoquant pèle-mêle la réforme des retraites, la "bourgeoisie dominatrice décomplexée", la marchandisation de la culture que le gouvernement néo-libéral (sic)défend,  cassant ainsi l'exception culturelle française, elle a dénoncé son pays devant les caméras du monde entier. 

Cannes, ce n'est pas l'académie des Césars, le monde est là.

Sans doute y a-t-il des choses à dire,  il y a toujours des choses à dire, mais enfin, combien de pays consacrent comme la France, autant d'argent public à la culture? La réponse est dans la question.

A Cannes Justine Triet a commis une faute.

On rapporte que son compagnon par ailleurs excellent comédien, réalisateur de talent remarquable scénariste ( il est co-scénariste du film objet de cet article), vénère monsieur Mélenchon... 



Reste que Anatomie d'une chute est un très grand film.

Le scénario est remarquablement construit qui entremêle sans pathos, vie affective fracassée, échec , dépression, mort, maladie d'un enfant fabuleux et regard à mon sens extrêmement intelligent sur la justice . 

Les dialogues sont remarquables. Mention spéciale pour ceux de la dispute.

La mise en scène est virtuose, rapide , serrée. On ne se dit jamais " tiens j'aurais fait ce plan plus court".

Et que dire de la distribution! 

Mention spéciale à l'extraordinaire  Sandra Hüller, que j'ai revue il y a peu dans "La zone d'intérêt" et qui là aussi illumine le film de son exceptionnel talent.

Mais à côté d'elle:

-  Swann Arlaud avocat amoureux déçu, délicat d'humanité, dont on pressent que la cause qu'il défend dépasse la simple question de celle qui est sur le banc des accusés.

- Antoine Reinartz -  avocat général impressionnant de cynisme et de froideur. Que ce métier doit être dur quand il exerce sa dureté dans de telles circonstances. 

- Et last but not least, le jeune Milo Machado-Graner, fils mal-voyant génial d'un couple concassé.


Oui, Madame Triet, a fait un très grand film qu'il faut voir.


                Sur les articles 8 et 20 de la Constitution


Rassurez-vous, je ne vais pas jouer au professeur de droit constitutionnel. C'est une matière que j'aimais beaucoup mais voilà, comme vous le savez,  j'ai fait autre chose. Personne n'est parfait.

La conférence de presse du Président, le 16 janvier dernier, a montré combien la pratique a modifié l'esprit de la constitution.

Ce n'est pas nouveau. Les choses ont réellement commencé en 2007.

L'article 20 de la constitution dispose:

"Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il est responsable devant le parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50"

L'article 21:

"Le premier ministre dirige l'action du gouvernement"

Voilà lettre.

Déterminer veut dire"fixer les objectifs et définir les moyens à mettre en ouvre pour les atteindre".

Conduire "c'est mettre en oeuvre les moyens nécessaires."

C'est ce que le professeur Hauriou écrivait dans son traité "Droit constitutionnel et Institutions politiques. Il précisait par ailleurs, "la constitution de 1958 doit être moins envisagée dans sa statique que dans sa dynamique". 

Nous y sommes.

Chacun sait qu'il y a la lettre et l'esprit.

Les articles 5 et 8 consacrent l'état et les fonctions du président qui:

- " veille au respect des institutions , assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État (article 5)

- "Le président de la République nomme le premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement.

Sur proposition du premier ministre, il nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leur fonction (article 8)


Sous le présidence de  Nicolas Sarkozy, l'esprit a disparu et la lettre est passée à la corbeille. En ce sens que le président s'est mis à déterminer et à conduire avec un "collaborateur" (sic) le premier ministre.

Rappelez-vous, le président qui reçoit chaque semaine des responsables de la majorité en l'absence de celui qui en est le chef, c'est à dire dans son dos.

Sous François Hollande , que dire ?

Sous Emmanuel Macron, cette dérive atteint un état quasi paroxystique.

Ce n'est pas sain.Le gouvernement et son chef sont placés dans une position d'une telle infériorité que l'opinion s'en soucie comme d'une guigne.

Il faut y mettre fin et faire réécrire les articles 8 et 20 par les chambres réunies en congrès. C'est un sujet sur lequel d'ailleurs elles devraient s'accorder, me semble-t-il.

Puisque le président dérive il faut le remettre à sa place en déplaçant de l'article 20 vers l'article 8 "le président détermine la politique de la nation."

Serait précisé  à l'article 20 après "la gouvernement conduit le politique de la nation, il met en oeuvre les moyens nécessaires à la réalisation de la politique déterminée par le président de la République"

 Ainsi reviendrait-on, par le texte, à l'esprit de la constitution tel que l'avait voulu ses rédacteurs et le général de Gaulle, bien que celui-ci parfois... Mais c'était de Gaulle.

N'en déplaise aux soutiens du régime présidentiel, c'est selon moi ce qui conviendrait le mieux aux français "pauvre grand peuple, qui sait ce qu'il ne veut pas mais ne sait pas ce qu'il veut" comme l'a écrit Victor Hugo cité par Bruno de Cessole dans "Le sceptre et la plume" livre magnifique sur lequel je reviendrai prochainement.

Eh bien, un peuple qui ne sait pas ce qu'il veut a besoin d'un recours et ce recours c'est le chef de l'État.

J'ajoute que dans un monde ou tout se déverse sans nuance et sans réflexion sur les réseaux sociaux, et où la polémique empuantit l'atmosphère, il est sain que le chef de l'État soit à la hauteur que requiert sa charge.

Si une telle modification advenait d'autres devraient suivre concernant, les relations internationales, l'Europe, l'armée par exemple; les spécialistes du droit constitutionnel sauraient faire.

En tout état de cause, il faut remettre l'église au milieu du village.