mardi 2 avril 2024

                                                     C'est l'histoire d'un mec...

(Libre variation sur une idée originale de Coluche)


 C'est l'histoire d'un "mec" qui est intelligent - pensez, il est diplômé de polytechnique- , travailleur, courageux et qui, pour parler cru, "en a".

Il a commencé jeune dans les petits câblos-opérateurs ,  a racheté Numericable, devenu Noos, puis SFR a fusionné les deux, a étendu son groupe au Portugal en Israel et aux États-Unis notamment.

Et comme il est intelligent, "le mec",  il a très tôt compris qu'en utilisant l'effet de levier, on pouvait aller vite sans mettre beaucoup d'argent. Voire sans en mettre du tout. 

Le principe de l'effet de levier est simple. Vous rachetez une entreprise  en large partie avec de la dette. Vous restructurez ce qui a besoin de l'être, revisitez les frais généraux pour les ajuster aux nécessités de l'entreprise, vous demandez aux fournisseurs de faire un effort sur les délais de paiement, vous redéfinissez si besoin la gamme des produits et  dynamisez la politique commerciale.  Au total, vous augmentez la performance de l'entreprise qui vous permet de dégager les ressources nécessaires au remboursement de la dette contractée pour son achat. Au passage, vous avez augmenté la valeur de l'entreprise, légitimant ainsi le risque vous avez pris.

C'est dur, il faut se battre, mais il n'y a là rien de choquant et généralement, quand c'est bien fait, salariés et clients sont eux aussi contents.

Sauf qu'il arrive, que certains, comme "le mec", assoient leurs opérations sur un maximum de dette, jusqu'à 100% parfois et qu'il se trouve des prêteurs que cela ne choque pas.

Dans ce cas tout change:

Il faut passer les frais généraux à la râpe,  diminuer drastiquement les frais de personnel - jusqu'à la corde-  généraliser le stress, et tordre le cou aux fournisseurs  qui n'ont d'autre chois qu'accepter s'ils veulent non seulement continuer à fournir mais aussi tout simplement être payés.

 Une fois cela fait vous avez dégagé assez de marge et généré assez de trésorerie dans laquelle vous allez puiser pour rembourser la dette. 

Ei vous avez bien sur augmenté la valeur de l'entreprise; c'est le seul but d'ailleurs.

Facile à dire pas facile à bien faire.  Je le reconnais...

Mais comme disait Devos: Quoi que...

 Si la morale et l'éthique dans la conduite des affaires sont pour vous un non-sujet , alors, il suffit de recruter une armée de sicaires bien payés - c'est assez facile - et les choses se font. 

Croyez-moi l'armée de sicaires se rentabilise vite.

Vous avez compris que "le mec" sait faire. 

C'est très dur pour les fournisseurs, très dur pour les équipes, et pas génial pour les clients car,  pour faire plaisir aux clients, il faut  avoir des produits et un service de qualité. Il ne faut pas gripper la machine à force de la raboter. Il faut être inventif sur la gamme de produits et il faut que le personnel soit suffisamment heureux et motivé.

 Mais, ça tant que ça marche, comme dirait l'autre "c'est la vie des affaires".

Les banquiers et les fonds sont contents; ils ont prêté à des taux généralement élevés et sont remboursés. On ne peut pas leur reprocher; ils ont pris un risque après tout. 

Chemin faisant, "le mec" a acquis une réelle reconnaissance de la part des banques et des marchés.

Alors il continue, emprunte beaucoup, émet des emprunts obligataires que des fonds souscrivent avec joie. Tout va pour le mieux. 

Mais il y a des choses qu'il n'a pas vues, "le mec", ou ne veut pas voir -il est vrai que l'hubris rend malvoyant-.

Il existe des concurrents qui ne sont pas forcément idiots.

 Ils savent comment prendre des parts de marchés. 

Ils savent qu'un client mécontent est un client qui part et ils l'attendent à la porte.

Ils ont sans doute davantage conscience qu'une entreprise doit, pour prospérer durablement se rapprocher le plus possible d'un triangle équilatéral: la satisfaction doit se répartir le plus également possible entre, le client, l'actionnaire et le personnel. 

On doit donc penser aux trois et "le mec", il pense surtout , doux euphémisme , à l'actionnaire qu'il est.

Chemin faisant, il accumule les milliards de dettes, beaucoup plus vite que les milliards de chiffre d'affaires et encore plus que les milliards de marge. 

On continue pourtant. 

Tout est bien organisé, il faut le reconnaître:

Holding au Luxembourg, cotation à Amsterdam, participation personnelle dans un paradis fiscal britannique, résidence principale en Suisse..."C'est la vie des affaires".

Mais voilà:

-  comme les arbres ne montent pas jusqu'au ciel,

- comme les crises existent, 

- comme , quand le personnel en a assez, les meilleurs partent, 

- comme les concurrents focalisés sur le business plus que sur les montages financiers vous prennent des clients, puis de plus en plus de clients, puis énormément de clients,  eh bien tout à coup le roi est dénudé. 

Comme chez Andersen, il en est qui s'en aperçoivent.

Alors, on s'inquiète, on dit:

-  Rappelez-moi, "c'est combien la dette ?

- 24 milliards d'euros.

- Non... Vous devez vous tromper ! 

- Non non, c'est bien ça. Mais ne vous inquiétez pas, "le mec" a dit il y a peu, que la dette de son groupe n'était pas un sujet. 

Regardez son parcours, tout de même. Et puis il ne peut pas ne pas rembourser. Imaginez donc!

- Ça s'est pourtant vu.

- Sans doute mais là ce n'est pas la même chose. C'est trop gros et le groupe n'est pas en faillite. 

Pourtant d'un coup on s'est aperçu que quand "le mec" avait dit :  "ce n'est pas un sujet", il voulait tout simplement dire: "ce n'est pas un sujet pour moi".  Car, je n'a pas l'intention de vous rembourser... Sauf si,  sur le 24 milliards que je vous dois vous en abandonnez 8." 

Il a chargé son directeur financier de le dire pour lui.

"Le mec" s'appelle Patrick Drahi. Il ne terminera pas sous les ponts rassurez-vous. 

Les créanciers sont des banques et des fonds; ils souffriront mais  s'en remettront. 

Eux oui.

..."C'est la vie des affaires"

Après tout ce n'est pas la première fois que le financement excessif par la dette, les montages exotiques conduisent à des catastrophes.

1987, 1992, 2008, ce n'est pas si vieux.

Chaque fois, ce n'est pas la même chose.

Chaque fois ç'est pourtant pareil.

Croyez-moi il y aura d'autres "ce n'est pas la même chose".

Pâque est passée, les cloches repasseront.


A mardi prochain.







2 commentaires:

  1. Bien sûr je cherchais les indices. Bien sûr je n’ai pas trouvé. Bon Dieu mais c’est bien sûr ! Je connaissais son nom. Il est parfois bon d’être loin de la foule déchaînée. Maï H-H

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