mardi 26 mars 2024

 


                                                                    NOIR


Ayant en mains un des deux volumes que la Pléiade a consacrés à l'oeuvre d'Albert Camus, j'entreprends de relire La Chute. 

Publié en 1956, chez Gallimard, ce récit est une des dernières oeuvres de Camus qui mourra dans un accident de voiture en 1960, à 46 ans, avec son éditeur Michel Gallimard, au volant d'une Facel-Vega. J'avais dix ans, les Facel-Vega étaient alors assemblées dans ma bonne ville de Dreux. C'étaient de bien belles voitures; elles ont disparu elles-aussi.

La Chute est un court récit, pessimiste, sombre, sur la petitesse, la lâcheté et la noirceur de l'humanité.

Un monologue d'un homme qui a fui la brillance parisienne de sa condition pour se réfugier à Amsterdam, ville de marins et de prostituées, où il se confesse à des inconnus, se déclarant juge-pénitent. Ici à un homme, qui vient de Paris. 

J'ai donc relu La chute.

  Une femme tombe dans la Seine, l'homme est là et ne fait rien. Double métaphore d'un monde qui s'enfonce et de voyeurs passifs qui le regarde sombrer. 

"Je m'arrêtais net, mais sans me retourner. Presqu'aussitôt, j'entendis un cri, plusieurs fois répété, qui descendait lui aussi le fleuve, puis s'éteignit brusquement.... Je me disais qu'il fallait faire vite et sentais une faiblisse irrésistible envahir mon corps. J'ai oublié ce que j'ai pensé alors."Trop tard, trop loin..."ou quelque chose de ce genre. Puis, à petits pas, sous la pluie, je m'éloignais. Je ne prévins personne"

Plus loin:

"Le châtiment sans jugement est supportable. Il a un nom d'ailleurs qui garantit notre innocence: le malheur"

Et encore:

"Comme il est difficile d'y couper (au jugement des autres).. ils cherchent la richesse. ...parce que la richesse soustrait au jugement immédiat, vous retire de la foule du métro pour vous enfermer dans une carrosserie nickelée, vous isole dans de vastes parcs gardés, des wagons-lits, des cabines de luxe. La richesse cher ami, ce n'est pas encore l'acquittement, mais le sursis, toujours bon à prendre"

Alors que je viens de lire cette phrase, je vois dans un kiosque à journaux, en bonne place, la couverture de "Madame Figaro":

Brigitte Macron, femme du président de la République si ma mémoire ne me fait pas défaut, pimpante, souriante,  veste en jean, chic et coûteuse probablement, épaule droite contre l'épaule gauche de Nicolas Ghesquière ,veste en jean lui aussi, et à titre principal directeur artistique des "collections femmes de Louis Vuitton.

Quand passant eux-aussi devant un kiosque,  que vont penser le petit cultivateur qui n'y arrive pas, le chômeur qui voit approcher la fin de ses droits, l'étudiant qui peine à se loger et à se nourrir, l'aide-soignante qui court prendre son bus pour arriver à l'heure à l'hôpital ?

"Ils n'en ont rien à foutre" voilà ce qu'ils vont penser et ils voteront pour les extrêmes. 

Noire perspective.


Samedi, Chroniques de Téhéran, petit film, d'à peine 1h20. Neuf plans fixes sur:

 Un père qui n'arrive pas à faire enregistrer le prénom de son fils parce que David, ce n'est pas permis

Une petite fille qui, pantalon de sport et sweat,  danse écouteurs sur les oreilles dans un magasin de vêtements pendant que sa mère choisit  sa tenue de rentrée dans la grande école.  On la couvre de voiles, ses magnifiques cheveux disparaissent et ses mains aussi. Quand sa mère part régler elle retire et laisse à terre ce qu'on lui a imposé,  puis reprend ses écouteurs.

Une jeune femme chauffeur de taxi, qui a été filmée au volant sans son voile; on lui a confisqué sa voiture.

Un ouvrier au chômage qui, pour réussir son entretien d'embauche doit répondre à des questions sur le Coran. On devine, qu'ayant d'abord mimé le lavement du bras gauche avant celui du bras droit, il ne sera pas pris.

...

Et pour finir, un réalisateur qui interrogé par un censeur,, lequel un an avant était fonctionnaire au ministère des transports,  est contraint d'émasculer son scénario, par paquets

Sur chaque plan fixe on ne voit que les opprimés, mais on entend la voit des oppresseurs.

Noir,  comme la robe des ayatollahs.


Retour à Camus, théâtre, Caligula:

 Caligula à Caesonia:

"Je vis, je tue, j'exerce le pouvoir délirant des destructeurs, auprès de quoi celui du créateur paraît une singerie. C'est cela être heureux. C'est cela le bonheur, cette insupportable délivrance, cet universel mépris, le sang, la haine autour de moi, cet isolement non pareil de l'homme qui tient toute sa vie sous son regard, la joie démesurée de l'assassin impuni, cette logique implacable qui broie les vies humaines..."

Quand je regarde vers l'est...

Noir absolu.


En juin, j'espère aller à Rodez, puis à Conques, admirer les Noirs de Soulages. Eux sont emplis de lumière. 


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Jean-Paul Dubois, prix Goncourt 2019 pour le beau Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon écrit ses livres au mois de mars et les termine en 30 jours. 8 pages par jour.  Il vient de publier L'origine des larmes (Acte Sud) écrit par exception en été sous la canicule . 

C'est une livre foisonnant, bourré d'idées, dont le thème principal est l'impossibilité de se débarrasser de l'image du père. Il pleut à verse depuis deux ans, nous sommes en 2031. Le personnage principal a tiré deux balles dans le crâne de son père; mort depuis quinze jours. Il est condamné à une thérapie. 

C'est ce qu'on suit.

Pour dire vrai, je préfère quand Jean-Paul Dubois écrit en mars. 

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Veniceland premier livre d'Olivia Dufour, par ailleurs chroniqueuse juridique de talent, publié chez l'Altana. 

 Ecriture alerte, culture incontestable, passion pour Venise, invention savoureuse et révolte bouillonnante. Sorte de thriller, habité par des personnages étonnants, prétexte à une dénonciation des excès et des pertes de repères d'un monde obsédé par l'argent.

Jolie surprise, vraiment. 

Puisse Madame Dufour ne pas s'arrêter là.




2 commentaires:

  1. Pourquoi préférer le noir ? Peut-être parce que les rares instants de lumière vibrent davantage. La vie? Soulages?
    Maï H-H

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  2. J'ai bien aimé Chroniques de Téhéran.
    On connaît la répression du régime des mollah mais ce petit film montre à quoi sont confrontés de simples citoyens pour des questions si ordinaires pour nous occidentaux.
    Rodez et Conques beau programme.
    Y ajouter Figeac et la gastronomie locale.

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