mardi 19 mars 2024

                                            Après le 7 octobre 



Sur mon bureau, le dernier livre  de Delphine Horvilleur rabbin, philosophe  et impressionnante intellectuelle. 

Son titre "Comment ça va pas?"

Son sous-titre "Conversations après le 7 octobre"

En exergue: un poème de Mahmoud Darwich, poète palestinien, qui commence ainsi:

"Quand tu prépares ton petit-déjeuner, pense aux autres

(N'oublie pas la graine pour la colombe).

Et se termine par:

"Quand tu penses aux autres au loin, pense à toi.

(Dis-toi: si seulement je pouvais être une bougie dans le noir!)


J'avais lu à sa sortie en 2021 "Vivre avec nos morts" et vu en 2023 sa pièce "Il n'y a pas d'Ajar".

Deux ouvrages d'une grande force et d'une belle hauteur d'âme , nourris d'une culture impressionnante et d'un intelligence "lasérienne".

Son petit livre de 150 pages, est un cri poussé sous la forme de onze conversations avec la douleur,  avec ses grands-parents, avec la paranoïa juive... et à la toute fin avec le Messie. 

C'est pour moi, le contraire d'une démarche de réhabilitation de l'âme juive ,  car elle n'a pas à être réhabilitée, elle n'a rien commis, qui justifie ni la haine qu'on lui voue, ni la barbarie  du 7 octobre.

Elle essaie de comprendre de s'éclairer elle-même -dont la fonction est pourtant d'éclairer les autres-  car elle est perdue.

Elle interroge, la haine multi-séculaires du juif, et se pose la question de ses origines.

Delphine Horvilleur écrit:

"Je ne peux m'empêcher de penser à son (la haine)  terreau théologique. A ce qui a rendu le juif détestable ou maudit, pour tant de penseurs, chrétiens ou musulmans"

Oui, les juifs sont haïs.

On leur reproche pêle-mêle, la mort du Christ, leur soi-disante main-mise sur la finance, leur soi-disante domination par l'argent, leur soi-disante soif du pouvoir, jusque dans l'art.

Dominique de Villepin  sentencieux hyperbolique, - qui c'est vrai a prononcé en son temps un fort beau discours au Conseil de Sécurité de l'ONU sur la base d'une position héroïque du président Chirac- , Villepin donc, à propos des juifs parle de domination financière "sur les médias, le monde de l'art et la musique".

Eh oui, Isaac Stern était juif, Daniel Barenboîm est juif, Zubin Mehta, Devinas, Grossmann et tant d'autres sont juifs et Romain Gary aussi l'était. Quand on désigne la domination financière, on provoque l'amalgame. On désigne aussi ces génies et on contribue fut-ce involontairement au ruissellement de la haine.

Ce qui est en jeu, ici c'est l'instrument d'une vengeance perpétuelle, fondée sur les causes du passé, c'est à dire les drames vécus, par ces deux peuples qu'instrumentalisent des barbares pour justifier les massacres qu'ils perpétuent.

Le génocide nazi, l'expulsion des palestiniens en 1948 au moment de la création des l'Etat d'Israël, puis les colonies versus les attentats et réciproquement.

Et ce que nous dit Delphine Horvilleur c'est:  mais Bon Dieu, à ce compte là, on n'y arrivera jamais! 

Il va bien falloir qu'on cesse de faire les comptes et qu'on se parle !

Il va bien falloir qu'on cesse de voir dans tous les israéliens des représentants de la force et dans tous les palestiniens des parangons du terrorisme.

Ils va bien falloir qu'on cesse de voir dans les juifs des êtres avides de puissance, elle qui est juive et qui, comme tant d'autres juifs la condamne. 

 Pourtant... oui pourtant, le 7 octobre la barbarie du Hamas  et depuis,  celle du gouvernement d'Israel.

La folie meurtrière du Hamas qui détient toujours plus de 130 otages, justifie-t-elle le massacre de femmes et d'enfants? 

Rien ne le justifie, mais certains l'autorisent, qui sont du même tonneau que les barbares du 7 octobre.

Ils se nomment Netanyahou , et ses alliés d'extrême droite et ultra- religieux au  gouvernement. 

Un Netanyahou qui sait qu'une fois refermées derrière lui les portes du pouvoir, verra s'ouvrir celles des juges et qui paie sa liberté d'une alliance détestable. 

Ce que nous dit Delphine Horvilleur c'est que Netanyahou, n'est pas Israel et davantage encore, n'est pas le peuple juif.

Il n'y a pas de bon côté dans cette macabre affaire

Ecoutons Delphine Horvilleur:

"Des salopards voudraient nous forcer à une surdité partielle, au nom du contexte, de mémoires sélectives ou de dettes identitaires. Il faudrait n'entendre que les voix qui hurlent d'un côté ou de l'autre".

En novembre 1991, j'étais en Ukraine, quinze jours avant le référendum d'autodétermination.

L'église gréco-catholique d'Ukraine, qui regroupe environ 5 millions de fidèles  avait été, historiquement, persécutée par les tsars puis interdite par les communistes.

Quand ceux-ci ont disparu, les fidèles ont rempli leurs églises. Pendant des décennies, la mémoire s'était clandestinement propagée. La pratique aussi, par toutes petites assemblées, sous le tapis.

Les persécutés ont la mémoire longue. 

Chaque balle qui tue fabrique le fusil de celui qui tuera.

Delphine Horvilleur l'a bien compris.

Elle termine son livre par la citation d'un texte écrit par un poète Israélien, Yehuda Amochai, rêvant que lui et Mahmoud Darwich sont en conversation dans l'au-delà.

Voici :

Le guide dit à des touristes

"Vous voyez cette voute datant de l'époque romaine ? Aucune importance! Ce qui compte, c'est qu'à côté, un peu en-dessous, à gauche, il y a un homme assis. Il a acheté des fruits et légumes pour sa famille".


A mardi prochain.



  .


2 commentaires:

  1. Excellente analyse!
    Comme d’habitude

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Delphine Horvilleur est unique tant par sa profondeur que par son humour. Je me prends à rêver d’une multiplication de DH qui aurait autrement plus d’impact que celle des pains ou des poissons. S’écouter vraiment. Enfin.
      Maï H-H

      Supprimer