lundi 29 avril 2024

                                                            KO


A ma gauche : Carlos Tavares

Comme chaque année à cette époque renaît le débat sur la rémunération des dirigeants des grands groupes français.

De plus en plus souvent un nombre significatif et croissant d'actionnaires rejettent en assemblée générale les propositions portant sur  la rémunération du Directeur général qu'ils trouvent excessives. Ils sont pour le moment très minoritaires.

La rémunération du Directeur général de STELLANTIS , Carlos Tavares, a soulevé des bien des critiques, mais trouve aussi de sérieuses justifications.

Le groupe automobile dont il a la charge comprend les marques suivantes: Peugeot, Citroën, Opel, Vauxhall, Abarth, Alfa-Romeo, Chrysler, Fiat, Dodge, Jeep, Lancia, Ram et Maserati.

Il emploie 240.000 personnes, possède des usines dans 30 pays, et vend plus de 6 millions de voitures.

Essayons de poser les choses, simplement, sans polémique, avec des faits et des chiffres:

Carlos Tavares est un dirigeant exceptionnel. S'il était musicien écrivain ... ou footballeur, on dirait que c'est un génie.

Entré chez PSA, alors au bord de la faillite, il l'a non seulement sauvé  et donc sauvé des milliers d'emplois, mais en a fait un groupe totalement transformé, d'une exceptionnelle rentabilité.

Puis il a intégré les autres marques nommées ci-dessus essentiellement  après l'association de PSA avec le Groupe FIAT, l'ensemble se nommant désormais STELLANTIS .

Là encore succès époustouflant.

Mange opérationnelle de près de 13% quand Volkswagen en est à peine à 7,5%.

Création de plateformes communes aux véhicules essence et électriques, favorisant la flexibilité du groupe sa réactivité et sa marge, alors même que l'industrie automobile affronte des défis considérables: "décarbonation", normes perpétuellement changeantes, invasion des produits chinois etc etc..

Last but not least, le résultat net de STELLANTIS  a atteint en 2023 18,6 milliards pour un chiffre d'affaires de 190 milliards quand VW affiche un résultat net de 17,9 milliards pour chiffre d'affaires 70% supérieur à 322 milliards.

J'arrête là.

Non, une petite chose encore.

Grace à ces résultats le Groupe distribuera cette année 1,9 milliard de prime à ses salariés, soit en moyenne environ 7.850€ par personne.

Carlos Tavares va gagner lui, 36 millions dont des actions de performance, étant précisé d'une part que si le groupe n'avait pas atteint une marge opérationnelle minimum de 10% , la chanson eût été moins belle et que d'autre part une partie de sa rémunération dépend de la réalisation d'objectifs en 2025. 

A vrai dire peu importe les modalités, ici.  

                                                            XXXX

A ma droite Killian Mbappé: 

Killian Mbappé est un génie du football. Et parce que c'est un génie, que c'est le football, que son employeur est le Qatar, qu'il est bien entouré et qu'il n'est pas sot mais alors pas sot du tout, il  a gagné en 2023 selon le journal L'Équipe, 72 millions d'euros. 

Deux fois, donc ce que gagne Carlos Tavares . 

Non, je fais erreur.  Ces 72 millions représentent son seul salaire: il faut ajouter les primes et ce qu'on appelle les revenus extra-sportifs (publicité, sponsoring etc etc.). Donc Killian Mbappé gagne beaucoup plus que deux fois le salaire de Carlos Tavares.  

Mais ne chipotons pas,  et restons-en au seul salaire.

Il est vrai que:

Killian Mbappé n'est pas pour rien dans la succession de titres nationaux du PSG. Mais 72 millions  tout de même !

Killian Mbappé n'est pas pour rien dans le dernier titre de champion du monde obtenu par la France en 2018. Mais 72 millions, tout de même !

Le débat n'est pas nouveau. En même temps que j'écris cet article, je lis Anna Karenine. Tenez:

Arcadiévitch à Lévine: 

- Est-il juste que tu gagnes disons cinq mille roubles là où, avec plus de travail, le paysan qui nous héberge ce soir,  en gagne à peine cinquante ?

Plus loin:

"... il (Lévine ) songea que ses oripeaux représentaient le gage de deux ouvriers à l'année, besognant de l'aurore à la tombée de la nuit". LVMH (cf.infra) n'existait pourtant pas encore.

Il ne s'agit pas pour moi de tomber dans le misérabilisme de posture, je laisse cela à Mélenchon (*).

En revanche, il y a des choses que les français ont de plus en plus de mal à supporter. Et comme ils ont le goût du cirque, ils supportent moins bien les 36 millions de Carlos Tavares  que les 72 millions et davantage de Killian Mbappé.

Ceci justifie-t-il cela ? Je crains que non.

L'un a des responsabilités considérables.

L'autre n'en a aucune, de significative s'entend.

A vrai dire, si j'étais Carlos Tavares, hypothèse totalement farfelue, je n'aurais pas accepté les 36 millions, bien que je les aie mérités. 

A dire vrai aussi, à la maison on  m'en aurait empêché et c'est bien.

Si j'étais Killian Mbappé, j'aurais honte des 72 millions et de leurs  millions additionnels.


C'est une des dérives du monde.

En bourse STELLANTIS vaut 75 milliards, LVMH 395 milliards.

Cherchez, l'erreur.

Alors je vais vous dire:

Je trouve les 36 millions excessifs.  Pourtant,  je ne sais pas définir le niveau à la fois suffisant pour le public et les commentateurs  d'une part et celui nécessaire pour qu'un dirigeant exceptionnel ait accepté  un tel "job", dans un groupe au tapis et le conduise là où il est d'autre part.

 Je crois d'ailleurs que personne ne le sait. 


En tout état de cause, pour moi: pas de doute:

Sur le ring de la légitimité, Tavares bat Mbappé  par KO dès la première reprise.


                                                    XXXX

(*) Mélenchon, suite:

Le très grand, l'illustrissime, Jean-Luc Mélenchon, nous a donné une fois encore la mesure de l'immense homme d'État qu'il prétend être en comparant le président de l'université de Lille à Adolf Eichmann. Rien de moins.

Soit il est d'une perversité qu'on a rarement connue dans notre beau pays depuis Le Pen et son "détail de l'histoire" puis son "Durafour crématoire". 

Soit il ne relève pas de la thérapeutique politique mais de la thérapeutique psychiatrique.

Alors lui qui comme on l'a vu,  aime voyager, pourrait diriger ses pas vers Bonneval par exemple.

 Si j'étais charitable j'opterais pour la deuxième hypothèse.

Mais hélas ...



lundi 22 avril 2024

                                

                                J'admire Jean-Luc Mélenchon



Dussé-je vous surprendre, j'admire Jean-Luc Mélenchon. 

Je vais ici tenter de vous dire les causes de mon admiration.

Elles sont triples.

La première est son courage.

En 1986, à 35 ans, âge auquel d'ordinaire les chevaux légers insouciants ou irresponsables se présentent aux législatives , Jean-Luc Mélenchon bravant l'adversité  a choisi de se présenter  à l'élection sénatoriale dans le département de l'Essone. 

Il s'agit, ici, d'un scrutin de liste. Sa position - à l'abri derrière la tête de liste-  l'assure d'une élection qu'un chameau aurait aisément emportée. 

Eh bien oui, Monsieur Mélenchon a eu le courage de se présenter à la place du chameau et a été élu. Il restera au sénat jusqu'à ce qu'il manifeste l'envie de mener un autre combat. Chapeau!

En 2009, il est candidat aux élections européennes, scrutin de liste encore par grande région.  Il choisit le grand ouest. L'homme est un grand voyageur, on le verra plus loin.  Sa position sur la liste du parti socialiste le prémunit d'un échec. Il est élu. 

Chapeau, de nouveau!

Il entame alors un combat d'une toute autre ampleur et se fait désigner candidat du front de Gauche pour l'élection présidentielle. L'ancien trotskiste "lambertiste" de l'OCI (acronyme de Organisation Communiste Internationaliste) a appris à manoeuvrer.  

Au premier tour, résultat 11,10% .

Ce score honorable l'encourage à persévérer et après avoir créé en 2016 un mouvement à sa dévotion, La France Insoumise, il se présente de nouveau en 2017. D'autres auraient jeté l'éponge, lui est courageux. Quoi qu'il lui en coûte, il y retourne donc et progresse. Toujours 4ème mais avec 19,58%.

C'est alors, qu'après ce qu'il considère comme une victoire, Monsieur Mélenchon décide du combat le plus difficile de sa carrière politique: se présenter à l'élection législative. Scrutin uninominal à deux tours. 

Mélenchon, seul contre l'adversité.

Il choisit la 4ème circonscription des Bouches du Rhône . Quand je vous dis qu'il aime les voyages.

Cet homme a 66 ans pourtant, il pourrait prendre sa retraite. D'ailleurs il la veut pour tout autre que lui, dès 60 ans. Mais voilà, on a l'esprit de sacrifice ou on ne l'a pas. Lui l'a.

Territoire difficile quand on est un homme de gauche que cette 4ème circonscription des Bouches du Rhône. Pensez donc ! De 1962 à 1993 la gauche l'a toujours emporté au 1er tour. Après ce ne fut qu'au second, certes, mais avec des scores élevés ou très élevés: 

1993: 54,72 %

1997: 58,36 %

2002: 64,80 %

2007: 57,41 %

2012: 70,51 %

Sinon un chameau,  une chèvre peut-être...

Mais non,  qu'allez donc-t-il faire dans cette galère ? Ce n'est plus du courage, c'est de la témérité. Eh bien croyez-moi, il a pris la place de la chèvre, et a été élu, au second tour avec 59,85% des voix. 

Que voulez-vous, moi j'admire. Il en faut de l'abnégation pour voyager ainsi en dehors de ses terres et rechercher des combats qu'on ne peut pas perdre.

En 2022, candidat aux présidentielles de nouveau, il monte à la troisième place avec un score de 21,95%.

Le vecteur de cette foudroyante progression ? Un don de tribun  certain au service d'un argumentaire compliqué qu'on peut résumer d'une phrase "tous des salauds qui vous exploitent". 

Il en faut là encore du courage. 

On imagine que pourtant fatigué des luttes, il  tentera de se sacrifier une fois encore en 2027. 

Sur le courage, j'arrêterai là. 

Vous me traiteriez  de dévot.


J'en viens donc à sa deuxième qualité, la modestie.

Rappelez-vous le 16 octobre 2018 devant le policiers perquisitionnant le siège de son parti - sur ordre d'un juge il est important de le préciser -  , à la suite de soupçons de fraude sur les comptes de sa campagne présidentielle de 2017. 

Que notre homme a-t-il opposé à ceux qui faisaient sottement leur devoir ? 

 "La République c'est moi"

Les forces de l'ordre et le juge l'avaient obligé, malgré lui, à rappeler au monde que la République française c'est Jean-Luc Mélenchon.

À un autre moment, il avait dit aux même policiers: "Ma personne est sacrée".

Il est vrai que dans son enfance il avait  servi la messe. Il a en revanche quelque peu confondu: Dieu est Dieu.  Mélenchon n'est pas Dieu. Tout le monde peut se tromper; on lui pardonnera

Regardez et écoutez, sur youtube par exemple, la déclaration qu'il a faite le soir du second tour des législatives de 2022, au cours desquelles son parti a connu, il est vrai,  un réel succès. 

C'est de Gaulle. La geste c'est de Gaulle, le vocabulaire c'est de Gaulle. Il a enfin trouvé son ton.

Je l'imagine répétant dans sa chambre, en pyjama,  devant une armoire à glace.

N'empêche ! Il a condescendu. Jusqu'à de Gaulle. 

J'admire.


Enfin, la troisième et la plus admirable de toutes,  est son amour des grands leaders épris de démocratie .

Castro d'abord:

Des milliers de prisonniers politiques, des centaines d'exécutions sommaires d'opposants dont le tort, démocratiquement insupportable,  était qu'ils n'étaient pas d'accord.

Et bien oui, Jean-Luc Mélenchon, l'aime ce Castro.

" Cuba n'est pas une dictature, pour moi clairement non"

Puis après le décès du Leader Maximo: 

"Voici la cohorte des opprimés qui t'escorte dans ta dernière marche"

Mais la cohorte ne peut pas suivre, Jean-Luc. 

Les opprimés sont en prison ou font la queue pendant des heures en attendant un bus qui peut-être, sans doute même,  ne viendra pas. 

Il faut y avoir été, à Cuba du temps du Leader Maximo. J'y suis allé. 

Quel beau peuple pourtant que ce peuple cubain. 

Il faut avoir entendu, là-bas,  "Buena vista social club".

Il faut avoir lu Leonardo Padura, écrivain cubain,  au  livre magnifique "Poussière dans le vent".  On imagine que Jean-Luc Mélenchon ne l'a pas lu, ou ne l'a pas aimé. 

Mais ne chipotons pas, ce que déclame Jean-Luc Mélenchon, c'est beau comme l'antique. N'est-ce pas ?


Chavez et Maduro ensuite:

Ah la révolution bolivivarienne que notre Jean-Luc adule !

Ah son opposition muselée, interdite, emprisonnée !

Ah,  ses cohortes de pauvres dans un pays qui marche pourtant sous des réserves consedérables d'or noir !

Ah ses affamés, exilés par millions !

Il faut l'avoir vu, le Vénézuela, au fond de lui même. Je l'ai vu il y a près de vingt ans. C'était presque l'enfer. Maintenant ça l'est,  tout à fait. 

Les manifestations d'opposants sont tirées à balles réelles.

La police violente et torture.

Mais Monsieur Mélenchon sait, lui, ce qui est essentiel.  Et il a le courage de le dire:

"Il faut que Maduro tienne"

"Nous ne perdons pas notre temps à jeter des pierres à nos amis".

Nos amis..., mon Dieu!

Lisez "La Fille de l'espagnole" de Karina Sainz Borgo, une autobiographie romancée - je n'emploie pas à dessein le terme d'autofiction-  terrifiante, qui vous prend à la gorge, écrite d'une superbe plume nourrie portant dans un encrier de sang.

Elle est partie en Espagne en 2006,  à 24 ans, pour pouvoir écrire. Simplement avoir le droit d'écrire.

Si par malheur il advenait que Maduro vienne à mourir  -ce ne sera pas de faim, il est replet et laisse la faim à son peuple - Jean-Luc Mélenchon, empli d'une insondable tristesse pourra redire:

 "Voici la cohorte des opprimés qui t'escorte dans ta dernière marche".


Jean-Luc Mélenchon est  homme admirable, décidément.







mardi 9 avril 2024

                                                         Une vie de soliste.


Il est vingt heures. On est assis, chacun dans son fauteuil, tranquillement, les lumières vont s'éteindre. 

Elles s'éteignent. 

La scène  s'illumine. 

L'artiste entre côté jardin, s'incline la main gauche le long du corps ou posée sur le cadre du grand piano noir. 

Il  s'assoit. 

Des secondes passent. 

Les tousseurs continuent de tousser. (Alexandre Tharaud a écrit: "Paris, en ses théâtres, tousse plus qu'aucune ville au monde.").  

Je "chuuuuutais" avant que le soliste commence à jouer, espérant qu'ainsi, on le laisserait se concentrer.  Dans le silence. En vain.

Christine m'a dit que "chuuuuuter" ajoutait au désordre. Elle avait raison; j'ai cessé.

Lui, le soliste,  est déjà ailleurs, peut-être ne les entend-il pas ces toux inciviles. 

 D'un coup, un note, un accord,  un arpège,  le bonheur commence servi par un personnage dont une caractéristique essentielle de la vie qu'il mène est qu'il est seul.  Avec son art, mais seul.

Seul dans le taxi qui le conduit à l'aéroport, seul dans l'avion qui l'emmène à New-York à Tokyo, à Pékin, ou Buenos-Aires.

Seul, en arrivant dans la chambre d'hôtel que son agent lui a réservée.

Seul jusqu'à la répétition, ou jusqu'au concert. 

Seul dans la chambre qu'il aura retrouvée, une fois le concert terminé et les dédicaces signées.

Il essaiera d'y dormir.  Seul.

Je suis dans mon fauteuil, Christine à mon côté et moi au sien. Le soliste va combler notre  soirée, sans doute. 

Concentrée, elle ne manquera rien. Comme si elle était dans le piano. Une fois le récital commencé, elle n'entend plus les tousseurs. Je l'admire.

Je me rappelle, l'immense Nelson Freire, à la Roque-d'Anthéron, entrant sur scène, petit bonhomme à la marche dynamique et au regard rieur dans son smoking beige. Le voir était un rêve enfin accompli.

 Quand il a plaqué le premier accord du concerto en la de Schumann, quelques larmes me sont venues.

Pas une seconde, me suis-je dis: "ce brésilien génial , quel sacrifice de vie, pour une telle passion et au service d'un tel art! Quel sacrifice de vie pour nous faire rayonner de bonheur et un instant se dire que peut-être, là-haut..."

En 2012 j'avais rencontré un des jeunes et brillants solistes français. Déjà célèbre, il est depuis mondialement demandé. Il m'avait dit: "Si j'ai des enfants, je ne les encouragerai pas à me suivre. Ce que je vis est merveilleux, mais on est tellement seul, toujours tellement seul".

Trois ans plus tard, mon vieil ami Jean-Bernard Pommier, donnait à Gaveau en huit récitals l'intégrale des 32 sonates de Beethoven. (En 2006 son intégrale  des même sonates avait obtenu un Diapason d'or.)

 Le 19 juin après l'ultime Opus 111, nous étions allés le voir dans sa loge, émus par une interprétation sublime.

Christine et moi lui avions proposé de dîner avec nous. Il nous avait répondu:

"Hélas! J'ai joué avec 39 de fièvre et je dois filer à Roissy. Demain matin, envol pour Bangkok".

Nous nous sommes embrassés, il est monté dans son taxi. Je l'ai retrouvé en septembre... à Liège. Après il s'envolait pour je ne sais plus où.

Alexandre Tharaud, merveilleux pianiste  lui aussi, de vingt ans son cadet a écrit dans son livre "Montrez-moi vos mains", que dans le mot "soliste", le suffixe "iste" signifie "faire profession".

Le chauffagiste fait profession de s'occuper du chauffage. 

Le soliste fait profession d'être seul.



La semaine prochaine Croques-notes fait relâche.

mardi 2 avril 2024

                                                     C'est l'histoire d'un mec...

(Libre variation sur une idée originale de Coluche)


 C'est l'histoire d'un "mec" qui est intelligent - pensez, il est diplômé de polytechnique- , travailleur, courageux et qui, pour parler cru, "en a".

Il a commencé jeune dans les petits câblos-opérateurs ,  a racheté Numericable, devenu Noos, puis SFR a fusionné les deux, a étendu son groupe au Portugal en Israel et aux États-Unis notamment.

Et comme il est intelligent, "le mec",  il a très tôt compris qu'en utilisant l'effet de levier, on pouvait aller vite sans mettre beaucoup d'argent. Voire sans en mettre du tout. 

Le principe de l'effet de levier est simple. Vous rachetez une entreprise  en large partie avec de la dette. Vous restructurez ce qui a besoin de l'être, revisitez les frais généraux pour les ajuster aux nécessités de l'entreprise, vous demandez aux fournisseurs de faire un effort sur les délais de paiement, vous redéfinissez si besoin la gamme des produits et  dynamisez la politique commerciale.  Au total, vous augmentez la performance de l'entreprise qui vous permet de dégager les ressources nécessaires au remboursement de la dette contractée pour son achat. Au passage, vous avez augmenté la valeur de l'entreprise, légitimant ainsi le risque vous avez pris.

C'est dur, il faut se battre, mais il n'y a là rien de choquant et généralement, quand c'est bien fait, salariés et clients sont eux aussi contents.

Sauf qu'il arrive, que certains, comme "le mec", assoient leurs opérations sur un maximum de dette, jusqu'à 100% parfois et qu'il se trouve des prêteurs que cela ne choque pas.

Dans ce cas tout change:

Il faut passer les frais généraux à la râpe,  diminuer drastiquement les frais de personnel - jusqu'à la corde-  généraliser le stress, et tordre le cou aux fournisseurs  qui n'ont d'autre chois qu'accepter s'ils veulent non seulement continuer à fournir mais aussi tout simplement être payés.

 Une fois cela fait vous avez dégagé assez de marge et généré assez de trésorerie dans laquelle vous allez puiser pour rembourser la dette. 

Ei vous avez bien sur augmenté la valeur de l'entreprise; c'est le seul but d'ailleurs.

Facile à dire pas facile à bien faire.  Je le reconnais...

Mais comme disait Devos: Quoi que...

 Si la morale et l'éthique dans la conduite des affaires sont pour vous un non-sujet , alors, il suffit de recruter une armée de sicaires bien payés - c'est assez facile - et les choses se font. 

Croyez-moi l'armée de sicaires se rentabilise vite.

Vous avez compris que "le mec" sait faire. 

C'est très dur pour les fournisseurs, très dur pour les équipes, et pas génial pour les clients car,  pour faire plaisir aux clients, il faut  avoir des produits et un service de qualité. Il ne faut pas gripper la machine à force de la raboter. Il faut être inventif sur la gamme de produits et il faut que le personnel soit suffisamment heureux et motivé.

 Mais, ça tant que ça marche, comme dirait l'autre "c'est la vie des affaires".

Les banquiers et les fonds sont contents; ils ont prêté à des taux généralement élevés et sont remboursés. On ne peut pas leur reprocher; ils ont pris un risque après tout. 

Chemin faisant, "le mec" a acquis une réelle reconnaissance de la part des banques et des marchés.

Alors il continue, emprunte beaucoup, émet des emprunts obligataires que des fonds souscrivent avec joie. Tout va pour le mieux. 

Mais il y a des choses qu'il n'a pas vues, "le mec", ou ne veut pas voir -il est vrai que l'hubris rend malvoyant-.

Il existe des concurrents qui ne sont pas forcément idiots.

 Ils savent comment prendre des parts de marchés. 

Ils savent qu'un client mécontent est un client qui part et ils l'attendent à la porte.

Ils ont sans doute davantage conscience qu'une entreprise doit, pour prospérer durablement se rapprocher le plus possible d'un triangle équilatéral: la satisfaction doit se répartir le plus également possible entre, le client, l'actionnaire et le personnel. 

On doit donc penser aux trois et "le mec", il pense surtout , doux euphémisme , à l'actionnaire qu'il est.

Chemin faisant, il accumule les milliards de dettes, beaucoup plus vite que les milliards de chiffre d'affaires et encore plus que les milliards de marge. 

On continue pourtant. 

Tout est bien organisé, il faut le reconnaître:

Holding au Luxembourg, cotation à Amsterdam, participation personnelle dans un paradis fiscal britannique, résidence principale en Suisse..."C'est la vie des affaires".

Mais voilà:

-  comme les arbres ne montent pas jusqu'au ciel,

- comme les crises existent, 

- comme , quand le personnel en a assez, les meilleurs partent, 

- comme les concurrents focalisés sur le business plus que sur les montages financiers vous prennent des clients, puis de plus en plus de clients, puis énormément de clients,  eh bien tout à coup le roi est dénudé. 

Comme chez Andersen, il en est qui s'en aperçoivent.

Alors, on s'inquiète, on dit:

-  Rappelez-moi, "c'est combien la dette ?

- 24 milliards d'euros.

- Non... Vous devez vous tromper ! 

- Non non, c'est bien ça. Mais ne vous inquiétez pas, "le mec" a dit il y a peu, que la dette de son groupe n'était pas un sujet. 

Regardez son parcours, tout de même. Et puis il ne peut pas ne pas rembourser. Imaginez donc!

- Ça s'est pourtant vu.

- Sans doute mais là ce n'est pas la même chose. C'est trop gros et le groupe n'est pas en faillite. 

Pourtant d'un coup on s'est aperçu que quand "le mec" avait dit :  "ce n'est pas un sujet", il voulait tout simplement dire: "ce n'est pas un sujet pour moi".  Car, je n'a pas l'intention de vous rembourser... Sauf si,  sur le 24 milliards que je vous dois vous en abandonnez 8." 

Il a chargé son directeur financier de le dire pour lui.

"Le mec" s'appelle Patrick Drahi. Il ne terminera pas sous les ponts rassurez-vous. 

Les créanciers sont des banques et des fonds; ils souffriront mais  s'en remettront. 

Eux oui.

..."C'est la vie des affaires"

Après tout ce n'est pas la première fois que le financement excessif par la dette, les montages exotiques conduisent à des catastrophes.

1987, 1992, 2008, ce n'est pas si vieux.

Chaque fois, ce n'est pas la même chose.

Chaque fois ç'est pourtant pareil.

Croyez-moi il y aura d'autres "ce n'est pas la même chose".

Pâque est passée, les cloches repasseront.


A mardi prochain.