mardi 7 mai 2024

                                            L'IMPASSE



Il est bien difficile d'aborder un sujet si compliqué en si peu de mots. Mais je veux le faire, néanmoins, car quand il s'agit de principes, au fond, point n'est besoin de s'étendre.

Alors voilà:

On appelle impasse budgétaire "la différence entre l'ensemble des dépenses publiques autorisées, y compris les comptes spéciaux du trésor et la totalité des recettes dont la rentrée est considérée comme certaine." (Larousse)

Soyons simple et tenons-nous en à la terminologie courante: il s'agit ici du déficit budgétaire. Puis, conséquemment,  de la dette.

Il me faut d'abord exposer quelques chiffres:

Depuis 1975, la France est en déficit budgétaire constant. Pas une seule fois, les gouvernements n'ont produit de budget à l'équilibre.

Le solde du budget de l'Etat y compris les comptes sociaux, évolue ainsi depuis 2006 en milliards d'euros:

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

−39  

−38  

−56 

−138

−148

−90 

−87 

−74  

−85  

−70  

2016

2017

2018

2019

202013

2021

202214

2023

−69 

−67 

−76 

−92  

−178  

−170

−151     −154 


Au total sur ces 18 années: 1782 Mds
Pendant cette même période le cumul des soldes du budget allemands regroupant les landers, s'élevait à - 388 milliards.
En chiffres ronds la France a donc produit 1.400 Mds € de déficits de plus que l'Allemagne, notre principal partenaire et concurrent. 

J'ai choisi cette période d'observation car les deux pays ont subi les même crises au même moment:
2008 Subprimes
2020 Covid
2023 Ukraine
De ce fait, les deux pays ont connu du fait de ces crises des impacts budgétaires prononcés.

En 2009 la France creuse son déficit de 82 Mds  pour le porter à  138 Mds lorsque l'Allemagne en quasi équilibre l'année précédente présente un solde négatif de 77 Mds. 

En 2020: la France voit son déficit passer de 92 Mds à 178 Mds:   lorsque l'Allemagne passe d'un excédent de 53 Mds à un déficit de 147 Mds

En fin en 2023 le déficit français atteint 5,5% de son PIB  à 154 Mds  quand l'Allemagne réussit à le limiter à 2% de son PIB soit 82 Mds.

Alors bien entendu, il faut financer tout cela, d'où la dette. 

Pour rappel, les critères définis au niveau de l'Europe, critères dits de Maastricht, que la France a contribué à définir avec l'Allemagne sont les suivants:
Déficits public 3% du PIB au maximum
Dette publique 60% du PIB au maximum.
L'accumulation des crises ont pour conséquence que ces ratios ont été enfoncés dans beaucoup de pays mais il faut y regarder de près, sur celui de la dette en rapport avec le PIB notamment:
En 2006 la France (68%) et l'Allemagne (67%) avaient un ratio d'endettement comparable.
En 2023 la France en est à 110,6%, quand l'Allemagne est redescendue à 63,6%.
L'augmentation de la dette française sur la période et de: 1.900 Mds. C'est à peu près la somme des déficits cumulés sur cette même période.  

Derniers chiffres, c'est promis:
 le PIB de la France est en 2023 de 2800 Mds, celui de l'Allemagne de 4100 Mds.
La population française est de 68 millions c'est d'Allemagne de 84 millions.
Cela veut dire que chaque français supporte 45.500 € de dette quand chaque allemand n'en supporte "que" 27.800 €


La question se pose: pourquoi en sommes-nous arrivés là. 
Le livre de Laure Quennouëlle-Corre " Le déni de la dette. Une histoire française" paru chez Flammarion est éclairant.

Ce que je tire de cette lecture est que chaque fois qu'un gouvernement a posé des règles de rigueur  et les  a appliquées, le finances publiques sont redevenues saines et la croissance a suivi:
1926 avec Poincaré.
1935 avec Rueff ... sous Laval malheureusement.
1958 avec l'arrivée de de Gaulle et Georges Pompidou premier ministre l'essentiel du temps,  puis la présidence de George Pompidou jusqu'en 1974, pendant laquelle on avait posé comme  saint principe que "la dépense publique ne devait jamais progresser plus vite que la production nationale." (Op.cit)
Depuis, hélas, qu'on en juge:
Solde des comptes publics sur la durée de l'exercice du pouvoir, cohabitations comprises:

- de Gaulle:              +0,2%
- Pompidou:            +0,1%
- Giscard:                 - 1,5% 
- Mitterrand:           - 3,5%
- Chirac:                   - 2,8%
- Sarkozy:                - 5,5 %
- Hollande:              -3,6 %     
- Macron:                 - 5,5%

On m'objectera à raison que les périodes ne sont pas comparables.
N'empêche! En Allemagne les crises subies étaient le mêmes.  

Notre problème est que quand  nous adoptons des mesures d'exception quand les crises l'exigent, nous les laissons traîner, leur remise en cause est partielle et tardive, jusqu'à ce qu'une nouvelle crise advienne qui conduit à en ajouter de nouvelles. Or nous sommes dans un monde de crises 

Notre problème est que l'État n'est pas efficace. 
Tenez, un exemple, marginal sans doute mais révélateur:
il y a peu j'ai été en contact avec l'administration pour l'obtention d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public. Je tombe sur un fonctionnaire territorial, aimable rapide et efficace qui fait tout pour me faciliter la tâche. L'autorisation obtenue et le montant de la redevance fixée, je veux régler. "Ah mon pauvre monsieur, cela ne dépend pas de moi. Le service compétent vous enverra un "tire de paiement".  J'attends. 
Dans une entreprise bien gérée en 2024, le titre est émis en même temps que l'autorisation. 
Les prélèvements obligatoires  - impôts et cotisations sociales- calculés selon les normes EUROSTAT ( pour les spécialistes, à la différence de l'INSEE,  les crédits d'impôts sont considérés comme des charges et comptabilisées comme telles) s'élèvent à  48% du PIB. Si le taux français était le même que le taux allemand (42%) ce sont  170 milliards qui, en 2023, seraient restés en dehors de la sphère publique, au main des acteurs privés: particuliers ou entreprises. On notera d'ailleurs que la différence entre les deux pays repose essentiellement sur les impôts de production qui pèsent sur les entreprises.  Est-ce bien malin ?

Notre problème et que la dette, finalement, on en parle quelquefois dans les dîners en ville, mais évidemment, personne ne veut voir ses impôts augmenter fut-on aisé ou riche.  Personne ne veut voir ses avantages remis en question, fut-ce un peu, même quand on est plutôt verni. L'épisode de la SNCF et des aiguilleurs du ciel est éclairant.

Notre problème est que la dette, c'est commode. 
La France reste la France. Notre dette est placée à plus de 50% dans les mains d'investisseurs et de fonds étrangers. Ils l'aiment  notre dette qui rapporte plus que celle de l'Allemagne et leur semble moins risquée que celle de l'Italie; ils ont raison. 
Et puis la dette n'est-ce pas ça évite trop d' efforts, d'autant que les taux étaient très bas et qu'en dépit de leur remontée récente,  ils restent historiquement raisonnables. 


Madame Quennouëlle-Corre cite Alfred Sauvy qui écrivait:

"Peu instruits de nos propres affaires, nous promenons pourtant notre figure de frustrés, irrités non contre nous-mêmes bien entendu, si candides, si innocents, mais contre l'État malfaisant qui a l'audace de vouloir prendre presque autant d'argent qu'il nous en donne et qui ne sait pas faire comme tout le monde c'est à dire se débrouiller"
C'était en 1955.

L'État maintenant prend moins qu'il ne donne, et pour le reste il se débrouille avec les prêteurs.

Il va pourtant falloir que cela change.  Et vite,  car à force d'impasses budgétaires la France - qui par parenthèse doit investir 100 milliards par an jusqu'en 2030 pour faire face au défit climatique-  va finir dans une impasse.



A la semaine prochaine.

  


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