lundi 28 avril 2025

 


                              Blanche n'était pas contente.



En avril 2019, l'humoriste  et comédienne Blanche Gardin avait refusé d'être faite chevalier dans l'ordre des Arts et des Lettres.  Elle avait écrit son choix au président de la République, arguant du fait qu'elle ne pouvait pas être décorée par quelqu'un qui ne tient pas ses promesses. Voici: 

"En juillet 2017 vous avez déclaré « La première bataille c’est de loger tout le monde dignement. Je ne veux plus, d’ici la fin de l’année, avoir des hommes et des femmes dans la rue, dans les bois ou perdus ». Et, vous avez annoncé le lancement d’une politique du « logement d’abord », qui a laissé planer l’espoir d’une plus grande attention portée aux personnes mal-logées.

Et simultanément vous avez supprimé les Aides Personnalisées au Logement qui aident les plus pauvres à se loger etc. etc.

Six ans ont passé. Voilà où nous en sommes:

D'ici à 2040, il faudrait que soient construits chaque année près de 500.000 logements dont 200.000 logements sociaux.

En 2024 on en a construit 258.000,  logements sociaux compris.

Cette même année, les autorisations de construire ont chuté de 30% .

Pourtant, il y a plus de 4 millions de mal-logés en France, selon la Fondation Abbé Pierre dont les chiffres en recoupent d'autres.

Il se répartissent comme suit:

1) 2,2 millions vivent dans des habitats dégradés : 

    - inconfort, 

    - habitats de fortune de type caravane ou camping

    - foyers de travailleurs migrants dégradés.


2) 1,15 million vivent dans des logements surpeuplés. 


3) 1 million de personnes n'ont pas de logement personnel.

    - logement chez un tiers, dont les parents

    - hôtels

    - sans domicile fixe.  

Ces hommes et femmes, sans domicile fixe, qu'Emmanuel Macron ne voulaient plus voir dans la rue fin 2017 sont 350.000 aujourd'hui.  L'équivalent de la ville de Nice.

La taille des articles de ce blog ne permet que l'humeur, fut-elle contenue.

Mais enfin, tout de même:

Le logement est la principale source de préoccupation des français, devant la santé, la sécurité et l'éducation (sondage IPSOS).

On a pris l'habitude, manifestement, de considérer en haut-lieu, malgré les propos d'estrade, que le logement est un sujet contingent. 

    - Sous François Hollande: 3 ministres en 5 ans

    - Sous Emmanuel Macron 7 ministres ... jusque là. Valérie Létard nommée dans le gouvernement Barnier a été gardée par François Bayrou. Elle semble faire du bon travail.  Mais pour combien de temps ?


Alors, comme il n'y a pas de tête, on fait un peu n'importe quoi.

On multiplie les normes. Puis on les change au gré du temps, du vent, et des ministres qui passent.

De sorte que les maires sont perdus et ne savent plus ce qu'ils peuvent autoriser, craignant les recours du préfet ou d'associations militantes. 

Les normes augmentent les coûts de construction à un moment où les matières premières se sont enchéries .  Au total, les prix de vente suivent le même trajectoire  de sorte que de plus en plus de gens n'ont pas les moyens de payer.

Dans le même temps, on vote une loi ZAN (Zéro Artificialisation Nette) qui vise à empêcher l'augmentation des emprises construites au détriment de la biodiversité. Le but est noble, mais il faut l'atteindre intelligemment. Les besoins sont tels que les terrains disponibles devenant rares, leur prix augmente, eux aussi. 

On a même envisagé de supprimer les prêts à taux zéro ... au moment où les taux étaient élevés. Oui oui, je vous assure.  La mesure a été finalement abandonnée, grâce à Dieu. 

Comme les besoins ne sont pas couverts et que faute d'offre le prix d'achat des logements augmentent,  il y a la queue pour en  louer.  Mais les mêmes causes produisant les mêmes effets, faute de biens suffisants, la demande de location excédant l'offre, les loyers grimpent; plus 7% l'an passé. 

Comment voulez-vous que ça marche !

Alors j'ai la tentation de leur demander à ces inventeurs béats des normes changeantes:   

    - À votre avis, pour qui votent les gens qui sont mal logés, qui chaque soir rentrent dans une appartement surpeuplé, dans une bicoque ouverte au vent et mal chauffée, ou qui attendent depuis des années l'attribution d'un logement social auquel on leur a dit qu'ils avaient droit ?

A votre avis, quand l'extrême-droite sera au pouvoir, pensez-vous que votre juste cause progressera ? N'avez-vous donc jamais entendu parler de Trump ?

"Ne voyez-vous pas que leurs passions, de politiques sont devenues sociales ?"  Tocqueville  1848, Discours à l'Assemblée. Pardonnez-moi de le citer une deuxième fois dans Croque-notes, après mon article du 30 septembre dernier.

Cela fait des années que les promoteurs, les entreprises du bâtiment et les professionnels de l'immobilier tirent le signal d'alarme mais on leur fait le procès imbécile et, plus gravement, coupable de n'être pas désincarnés.

Blanche n'était pas contente et elle avait raison. 

Cela pourrait finir sur les ronds-points.

Au mieux.




















lundi 21 avril 2025

 


                                                        Le Pape est mort



Deux amis m'ont dit: 

"tu ne peux pas ne pas écrire."

Je leur ai répondu, paraphrasant le Pape François "Qui suis-je pour écrire sur lui, moi, homme de si peu de foi ?"

Alors je n'écris pas et laisse travailler ma mémoire:

"Ce que vous ferez au plus petit de mes frères c'est à moi que vous le faites."

"Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé"

"Heureux sont qui ont faim et soif de justice"

"Heureux les artisans de paix"

"Que celui qui est sans péché jette la première pierre."

"J'avais faim et vous m'avez donné à manger, j'avais soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli."

Voilà ce qui me vient à l'esprit quand je pense au Pape François.


"N'agissez pas d'après leurs actes car ils disent et ne font pas."

Voilà ce que disait Jésus à propos des scribes et des pharisiens.

Voilà ce que je pense quand j'observe James David Vance.

Cet homme affreux et détestable est venu à Rome.

Le Pape s'en est allé. 




 

lundi 14 avril 2025

 



                                                    L'expert et le psychiatre.


Donald Trump a donc annoncé sa panoplie de hausses des droits de douane à l'importation en provenance de tous les pays du monde vers les États-Unis.

Pour l'Europe ce sera 20%.

Pour la Chine c'était 34%

Pour le Cambodge: 49%

Comment, allez-vous me dire, imposer de tels taux qui s'ajoutent à ceux déjà appliqués ?

Et comment arriver, s'agissant du Cambodge l'un des pays les plus pauvres du monde au taux délirant de 49%; le plus élevé de tous hors la Chine qui, elle a décidé de faire la guerre ?

Eh bien voilà la méthode du vilain canard ... enfin non, pas la sienne - Trump joue au golf, il ne travaille pas - mais celle de ceux qui ont pondu les surtaxes est la suivante. 

Attachez vos ceintures:

1) on fait le ratio solde commercial sur montant des importations de biens et de marchandises par les USA en provenance du pays incriminé.

2)  on multiplie le résultat par 100.

3) on arrondit ledit résultat.

4) on retient ce résultat arrondi et on le divise  par 2.

Pour l'Europe cela donne:

Montant des importations US de biens et de marchandises: 605 milliards.

Déficit des USA dans les échanges de biens et de marchandises avec l'Europe : 235 Mds.

Ratio: (235/605)*100 = 39,67 % arrondis à 40.

40/2= 20 taux de la surtaxe appliquée.

Le même calcul appliqué au Cambodge donne 48,5 arrondi à 49%.

C'est que, voyez vous, les cambodgiens n'ont pas les moyens d'acheter des Jeeps Grand Cherokee à 100.000 $ pièce qui, en ville, consomment 20 litres au cent kilomètres. 

Pour eux, les produits américains sont trop chers. Alors ils exportent un peu et n'importent pas grand chose.

"Salaud de pauvres !" hurlait Grangil incarné par Gabin dans La traversée de Paris

Mais Gabin ça avait de la gueule ! 

 Vous aurez noté que dans ce qui fait office de calculs, ne sont pris en compte que les échanges de biens et marchandises. Sont occultés donc les échanges de services, qui sont eux,  comme par hasard, largement excédentaires pour les États-Unis.

Les chiffres de la balance des services pour 2024, ne sont, sauf erreur, pas encore disponibles. Sur la base de ceux de 2023, le déficit total ( marchandises, bien ET services) des échanges avec l'Europe serait pour les USA diminué d'au moins 100 Milliards. Cela change tout.

En gros Trump fait à la tête des USA comme il l'a fait dans ses entreprises et au golf: il triche.

Proust a écrit dans "Le coté de Guermantes"

"On ne fait la somme des vices d'un homme que quand il n'est plus guère en état de les exercer." 

Il nous faudra attendre malheureusement. Préparons nous toutefois; le calcul prendra du temps.

Alors demanderez-vous comment peut-on construire une tel cheminement sur la base de données tronquées avec un raisonnement indigne du QI d'un bulot ?

En 2007  Ian Kershaw a publié une biographie de Hitler; elle fait référence.

Dans cette somme impressionnante il cite un extrait de discours prononcé par un obscur secrétaire d'État à l'agriculture Werner Willikens:

"Le devoir de tout un chacun est d'essayer, dans l'esprit du Führer, de travailler dans sa direction".

Et Kershaw d'écrire:

"Dans la jungle darwinienne du IIIème Reich, la voie du pouvoir et de l'avancement était claire: il fallait anticiper la volonté du Führer".

Nous y sommes.

A Washington, un poignée d'hommes ambitieux et serviles anticipe la volonté du vilain Canard jusqu'à l'élaboration d'une mécanique de calcul débile qui peut provoquer les malheurs du monde.

Pendant ce temps, l'expert essaie de prévoir  et de chiffrer avec sa science qui est considérable, avec ses outils de calcul qui ne le sont pas moins, ce que les décisions erratiques de Trump peuvent avoir comme conséquences directes et indirectes, pays par pays, secteur d'activité par secteur d'activité . 

Pour au bout du compte avoir aussi une idée de la masse de celles et ceux -il s'agit d'hommes, de femmes et d'enfants- qui ne s'en sortiront pas.

Bien qu'on nous en rabâche les oreilles, rien n'est aujourd'hui comparable aux mesures protectionnistes prises à la fin du XIXème siècle puis en 1930 par des présidents américains qui eux aussi ont provoqués des désastres. 

L'économie est aujourd'hui mondialisée. Les entreprises pratiquent chaque jour la division internationale du travail et les produits qu'elles fabriquent sont un assemblages de matières et de composants venus d'ailleurs.

Alors, au bout de ses calculs qui ne lui confirment rien il essaie, l'expert, d'estimer à quel moment ou à quelles conditions et avec quelles mesures de rétorsion la situation contraindrait le Canard à revenir à la raison.

Puis alors qu'il calcule, le Canard fait volte-face. Il donne 90 jours de répit. On sait bien que cela ne veut rien dire. 

Dans la foulée la Chine prend 125%... et riposte.  

Alors l'expert épuisé et perdu, n'en pouvant plus, se résout à interroger l'Intelligence Artificielle qu'il déteste pourtant.

 Elle lui répond dans la seconde:

"Mon pauvre, je ne peux pas vous aider. C'est d'un psychiatre dont vous avez besoin."



lundi 7 avril 2025

 



                                        Le juge et le citoyen,


Point n'est besoin de tourner autour du pot. 

La lecture des faits de détournements reprochés au Rassemblement National, à Marine Le Pen et ses comparses, la durée pendant laquelle les détournements ont été commis, l'ampleur des sommes détournées , ne laissent aucun doute:  ceux qui ont été condamnés sont coupables. Avec le parti, ils sont 25.

Le jugement fait 154 pages, je les ai lues.

Pour tout dire c'est à la fois consternant et affligeant. 

- 38 des 41 contrats d'assistance parlementaire ont été détournés. Qu'est-ce à dire ? Tout simplement que les personnes auxquelles le RN et ses députés européens  avaient fait signer des contrats d'assistant parlementaire travaillaient en réalité pour le parti. 

Il s'agissait, en somme, de contrats fictifs en vertu desquels le parlement européen couvrait la rémunération de personnes pour un travail qu'elles n'exécutaient pas.

Celui de Thierry Légier, en réalité chauffeur-garde du corps de Jean-Marie puis de Marine Le Pen.

Celui de Yann Le Pen directrice de l'évènementiel du parti.

 Etc. etc.

Après annulations des sommes remboursées, des demandes du parlement européen jugées non-recevables ou excessives,  le préjudice subi par le parlement de Strasbourg a été arrêté par le tribunal à la somme de 2,9 millions d'euros.

Rappelons qu'il s'agit de 2,9 millions d'argent public. 

Fallait-il condamner à l'inéligibilité ?

S'agissant de détournement de fonds publics, la peine d'inéligibilité est obligatoire. Le juge n'a pas le choix, la loi le lui impose. Il est simplement et bien naturellement contraint de motiver sa décision. 

Ce que le tribunal a très largement fait.

Il ne manquait pas de matière. 

Tenez, cet extrait d'un échange par mail entre Jean-Luc Schauffhauser alors député européen et Wallerand de Saint-Just trésorier du Rassemblement National:

Le député:

"Ce que Marine nous demande équivaut à ce qu'on signe des emplois fictifs.... Je comprends les raisons mais on va se faire allumer"

Le trésorier:

"Je crois bien que Marine sait tout cela".

En refusant de reconnaître la faute, au prétexte  que d'autres le faisaient - les espagnols par exemple-  Marine Le Pen n'a pas arrangé sa cause; la présidente du tribunal le lui a dit. Elle a bien entendu le droit de nier, mais pas n'importe comment

Voilà qui nous conduit au second point, celui de l'exécution provisoire. Il s'agit  d'une peine accessoire à la peine principale contre laquelle il n'y a pas de recours. C'est regrettable, mais c'est ainsi.

Mon réflexe premier a été de ne pas l'aimer cette exécution provisoire, en dépit de la détestation que j'éprouve pour le RN, ses idées et, par voie de conséquence pour Marine Le Pen. 

Je n'aime pas cette peine complémentaire  en vertu du principe que, sauf s'il y a menace sur la vie d'autrui, tout condamné auquel la loi ouvre des voix de recours doit pouvoir en bénéficier pleinement.

Je comprends qu'on ne laisse pas un terroriste, un tueur en série ou un violeur courir les rues. Mais enfin, Marine Le Pen et ses complices n'en sont pas là.

Et puis il y a ce petit bout de phrase: 

" Le Tribunal prend en compte, outre le risque de récidive, le trouble majeur à l'ordre public démocratique."

Lisant "outre le risque de récidive, alors qu'à l'évidence il n'y en a aucun je me suis dit: 

"Zut! Le tribunal est sorti de sa robe, il est redevenu un citoyen ordinaire."

Il a heureusement complété la phrase par "le trouble majeur à l'ordre public démocratique".

 Alors j'ai cherché pour tâcher de bien comprendre et éviter d'aller au Café du commerce dans lequel il y a décidément trop de monde. 

Pour le Conseil constitutionnel , l'ordre public est une notion qui recouvre "le bon ordre , la sécurité, la salubrité et la tranquillité publique". (Pierre Mazeaud 2003).

Alors oui, détourner l'argent public pour payer son chauffeur à Paris, sa directrice de l'événementiel à Paris et tant d'autres à Paris qui auraient dû être à Bruxelles et ne faisaient rien de ce qu'ils étaient payés pour faire, c'est s'asseoir sur le bon ordre et embrasser l'insalubrité. 

Le tribunal a considéré en outre qu'ouvrir la voie d'une élection présidentielle à Marine Le Pen revenait à la priver de ce qu'il considère comme une juste sanction et contrevenait ainsi à l'ordre public démocratique.

Les condamnés font appel. Le calendrier est organisé pour que le procès arrive tôt, en 2026 avant la présidentielle donc afin de permettre le cas échéant à madame Le Pen de concourir. C'est l'honneur de la démocratie. 

Les indignations des amoureux de ladite démocratie que sont Poutine, Trump, Orbàn ou, chez nous, Zemmour et Mélenchon consacrent si besoin était les méfaits qui viennent d'être condamnés.

Que le tribunal, un instant, ait laissé percer le citoyen, on peut le comprendre.

J'aurais préféré qu'il ne le fît pas, parce que cette faiblesse jette, à tort sans doute, la suspicion sur son jugement. 

J'aurais aimé pouvoir dire au tribunal: soyez attentif à peser vos mots au trébuchet de l'histoire.

La mort d'un enfant, il suffit d'un rien. 

La démocratie, c'est tout pareil.



lundi 31 mars 2025

 


                             L'article 312 du code pénal (*)


 Avant d'être élu en novembre dernier, Trump avait annoncé la couleur: soit vous chantez, soit je vous massacre.

Pour cet homme délicat qui doit croire que Saint-Saens est un des douze apôtres, chanter veut dire payer; le dollar est sa seule valeur.

Peut-être d'ailleurs, massacrera-t-il finalement moins qu'annoncé, pour la double raison que les boomerangs reviennent toujours là d'où ils sont partis et que les marchés semblent ne pas aimer les dégâts que les boomerangs feront en revenant. 

Peut-être ne veulent-ils tout simplement pas être comme le cocu de la fable: battus et contents. 

Il est un peu tôt, nous verrons bien. 

Il y a peu, m'est revenue l'affaire BNPParibas, c'était en 2015.

Puis j'ai lu, la semaine passée,  un livre particulièrement éclairant,  écrit par plusieurs praticiens du droit, connaissant remarquablement la pratique américaine. Cet ouvrage a été réalisé avec la participation et sous la direction d'Antoine Garapon ancien magistrat et de Pierre Servan-Schreiber, avocat aux barreaux de Paris et New-York.

Il a été publié en 2013 aux PUF (collection Quadrige) et s'appelle:

Deals de justice

Le marché américain de l'obéissance mondialisée.

Pour dire vrai j'ai été captivé, moi qui pourtant ne suis pas un spécialiste. 

Le sujet traité est en deux mots le suivant:

Quand l'administration américaine - entendez le gouvernement-apprend - quelle que soit la source, fut-elle simplement journalistique-  qu'une entreprise aurait contrevenu à un texte de loi, à un règlement d'une autorité de contrôle - la SEC ( notre Autorité des Marchés Financiers (AMF) par exemple- ou  à une décision d'embargo prise par le président américain, elle prend contact avec ladite entreprise et lui tient en gros ce langage:

Soit vous coopérez soit, nous prendrons des mesures contre vous qui vous feront terriblement mal.

Pour cela, point n'est besoin que le siège du groupe ou de l'entreprise soit aux USA. Point n'est besoin non plus qu'il y ait une filiale ou même une usine aux USA. Il suffit par exemple que le groupe ou l'entreprise utilise le dollar pour le règlement de ses transactions commerciales ou financières. N'importe où dans le monde.

L'administration US impose à l'entreprise de payer l'enquête interne qu'elle impose, et de se faire contrôler à ses frais par un "monitor" ayant son agrément.  Enfin, elle fixe l'amende. 

Ici, l'administration américaine est donc à la fois:

- Le policier qui enquête, à ceci près que c'est avec les moyens de l'entreprise.

- Le juge d'instruction qui instruit, à ceci près que c'est toujours avec les moyens de l'entreprise.

- Le président du tribunal qui prononce la sanction.


En France, cela pourrait relever, me semble-t-il, de l'article 312-1 du Code pénal qui dispose:

L'extorsion est le fait d'obtenir par violence, menace de violences ou contrainte soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d'un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien quelconque.

L'extorsion est punie de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende.

BNPParibas à dû accepter de payer 8,9 milliards de dollars de l'époque - oui, vous avez bien lu-  pour avoir enfreint les embargos prononcés par un président américain contre l'Iran, Cuba, la Libye et le Soudan. Embargos levés au moment de la sanction.

Voila ce qu'on peut imaginer que les services du procureur ont dit aux dirigeants de BNPParibas:

À défaut d'accepter notre exigence -en d'autres termes si vous voulez aller devant un juge-  nous suspendrons votre licence jusqu'au jugement. Cela peut durer très longtemps. 

Au surplus, en cas de condamnation par le juge nous vous interdirons définitivement d'exercer directement ou indirectement toute activité sur le territoire américain.

C'était évidemment impensable pour la première banque de la Zone Euro.

En l'occurence, l'affaire a été entérinée c'est à dire homologuée - et non jugée-  par un tribunal. Ce n'est d'ailleurs pas une obligation.

Le sujet est évidemment plus compliqué que mon simple exposé.

J'entends ici simplement ici écrire que la culture de la force imposée et du chantage qui aboutit à extorquer - car c'est bien de cela qu'il s'agit-  n'a pas été inventée par Trump. Elle est dans la culture de "l'administration" des États-Unis.

L'affaire BNPParibas, de même que celles d'Alcatel, d'Alstom, de Technip, et de Total a eu lieu sous l'administration Obama. L'homme avait un beau sourire, il était intelligent et cultivé mais il savait être féroce.

L'accumulation d'informations  que les entreprises  étrangères visées sont contraintes de fournir, à leurs frais, et les "accords" qui finissent par être conclus, avec l'administration  sont incontestablement et consciemment des outils de pression à sa main pour affaiblir des entreprises concurrentes.

On m'objectera à raison que les entreprises américaines sont soumises aux mêmes menaces. Il se trouve que statistiquement, "un peu" moins.  Il se trouve aussi que les entreprises américaines sont américaines.

En tout état de cause, la doctrine est:

"Nos pas sont les vôtres.

Nos lois s'imposent à vous au-delà de nos frontières et vous n'avez pas le choix".

La technique de la pression et du chantage comme outil de l'extorsion n'est donc pas "trumpienne". 

Simplement Trump est une brute, qui n'a de scrupule qu'à l'endroit du seul être qu'il admire: lui-même.

Alors il fait comme les autres. Mais il élargit le spectre aux juges, aux avocats qui ont plaidé contre lui, aux journalistes qui le critiquent.

C'est comme cela que naissent les dictatures.

La première violation des principes fait toujours marcher de violation en violation.

 Lanjuinais Discours à l'Assemblée Nationale 17 janvier 1793.



(*) Référence respectueuse à Tanguy Viel et son très bel Article 353 du code pénal. (Editions de Minuit)


lundi 24 mars 2025

 



                                                            Oh la vache!


Hervé Le Tellier, prix Goncourt 2020 pour L'anomalie, suivi l'an passé du beau Le nom sur le mur - que j'ai évoqué ici le 20 mai 2024- a accepté une confrontation avec ChatGPT. 

Cette confrontation a été proposée par le Nouvel Obs.

Le devoir était le suivant: 

Deux phrases imposées:

Une phrase d'introduction:

"Il aperçut le corps sans vie de l'écrivain et soupira".

Une phrase de conclusion:

"Tout est pardonné, pensa-t-elle, avant de disparaître".

Entre les deux: fiction policière de 3000 signes.

Quand on lui présenta la copie de sa rivale Le Tellier se serait exclamé:

"Oh la vache! C'est bluffant".

A vrai dire, lisant les deux textes, la machine a encore beaucoup de progrès à faire. 

Pourtant, le béotien que je suis a peur.

Peur pour les écrivains, peur pour les maisons d'édition, peur pour les librairies,  peur des dérives que les outils de l'Intelligence Artificielle (IA) vont à coup sur provoquer entre les mains des fous. Parce que, comme aurait dit La Palice, les dérives dérivent.

Restent pour moi, un espoir et une conviction.

L'espoir est que les maisons d'édition seront heureusement contraintes d'être plus attentives à leurs auteurs et de ne pas laisser passer les coquilles ou incongruités des textes originaux ou traduits  que nous lisons malheureusement de plus en plus. Car l'IA, elle, ne les fera pas.

Ainsi:

- Ce magnifique silence des nuits d'hiver aurait dû boucher les rues

- Juste avant d'arriver au village, une voiture nous dépassa en sens inverse.

- En regardant le ciel chargé par le pare-brise  Au lieu de:  En regardant par le pare-brise le ciel chargé

- Ses muscles craquaient.

- Il fut aveuglé par l'obscurité de la cave.

Etc. etc.

Ces quelques citations sont extraites de bons, voire de très bons livres que volontairement je ne nomme pas.  

Les écrivains et, quand ils font bien leur travail, les traducteurs,  ont la tête dans les manuscrits. Ils en sortent harassés. C'est aux éditeurs qu'il appartient d'être à leurs cotés et de les aider à corriger ce qui doit l'être. De faire leur métier, en quelque sorte.

Voilà pour l'espérance.


Plus important, j'en ai la conviction profonde, c'est que ChatGPT et ses consœurs ne pourront jamais reproduire ce qui est fruit des sueurs  de l'écrivain (e), qui rature, reprend, remplace une virgule par un point-virgule, tâtonne et tâtonne encore pour trouver l'adjectif qui convient, supprime un adverbe puis, n'étant pas satisfait, revient le lendemain et recommence la page. 

C'est ce travail là qui, poussé par le génie, l'inspiration et la volonté d'une vie, fait la beauté et la force d'un texte.


Tenez, dans le désordre:

Douze mois d'hiver, et le reste du temps, l'été.

Soljenitsyne: L' Archipel du goulag.


Et il connut ainsi que le guerre n'est pas bonne puisque vaincre un homme est aussi amer que d'en être vaincu.

Albert Camus: Le premier homme.


Voyez-vous, Meursault, toute la bassesse et la cruauté de notre civilisation se mesure à cet axiome stupide que les peuples heureux n'ont pas d'histoire.

Albert Camus: La mort heureuse


L'incertitude, c'est encore l'espérance.

Dumas:  Le comte de Monte Cristo


Entre l'Éminence et la Sainteté, il n'y a que la fumée d'un scrutin.

Victor Hugo: les Misérables 


La lumière des torches est comme la sagesse des lâches, elle éclaire mal parce qu'elle tremble.

Idem.


Toutes les guerres, depuis le déluge ont pour musique l'optimisme.

Tous les assassins voient la vie en rose, ça fait partie du métier.

Céline: Mea culpa.


La caissière dînait à sa caisse, comme toujours, avec son air faussement distingué de femme sur le retour qui a eu des malheurs.

Georges Simenon: La Marie du port


- Nous savions tous que c'était un pur. On sent la pureté lorsqu'on la rencontre. Ce garçon était un des nôtres. Mais il y avait l'étiquette.

- Alors ?

- Alors, nous l'avons fusillé.

Romain Gary: L'éducation européenne.


J'arrête là. 

Avec Gary on atteint à la sublimation du drame.

Voyez-vous, j'en suis convaincu, ChatGPT n'écrira jamais: "Mais il y avait l'étiquette" 

Parce que cela relève du génie.

Et cela, Musk, Bezos, Zuckerberg et tous les autres qui sont allés à la soupe n'y peuvent définitivement rien.




lundi 17 mars 2025

 


                                        

                        

                                    Le Béarnais et le mirliton.



L'homme était parti jeune et courait depuis Pau.

Il était cultivé, et très jeune visait haut.

Ainsi qu'un grand marcheur, au pied d'une montagne,

Rien ne lui faisait peur, il aimait la castagne.

Conseiller général, puis député et maire,

Sous Chirac il entra dans un grand ministère.

L'agrégé qu'il était, fut nommé à Grenelle.

"Matignon n'est pas loin, trois minutes suffisent, 

Je suis un bon marcheur et j'ai de bonnes semelles.

Grenelle n'est qu'une étape , il faut qu'ils se le disent."

 Regardant vers le haut, il vit moins les obstacles,

Bien que le voulant point,  se donna en spectacle.

Ainsi trébucha-t-il sur un très gros caillou, 

Célèbre au demeurant qui s'appelait Falloux.

La rue fut pleine de monde qui criait "au vandale !",

Le Béarnais défait, dut retirer sa loi.

Les gens rentrèrent chez eux, ils étaient tout en joie.

Lui était convaincu qu'il n'avait pas fait mal.

Construire un grand destin fait casser quelques oeufs,

Il faut donc poursuivre, pourvu qu'on soit heureux.

C'est donc ce qu'il fit, avec quelque bonheur.

Prit la tête d'un parti, fut élu à Strasbourg,

C'était un bel endroit pour attendre son heure,

Et faire son grand retour.

Voulant  être Président, comme on l'a deviné,

Se présenta une fois et fit triste figure.

Moins de sept pour cent, n'est pas de bonne augure.

Pour tout autre que lui, c'eut pu être un linceul.

Il n'était pas fini, c'était un amuse-gueule.

L'homme a de la ressource, comme il est dit plus haut

Ne craint pas les campagnes et se voit en héros. 

Il repart à l'assaut quelques cinq ans plus tard

Et ma foi s'en tire bien mais c'est insuffisant.

Sarkozy est élu, il n'est pas président.

Puis vient deux mille dix-sept, il n'est n'est pas encore vieux,

Ne pouvant être roi, il soutient un jeune homme

Prévoyant qu'après lui et avec l'aide de Dieu

Il gagnera enfin, et sera sur l'Album.

Le jeune fait des bêtises et dissout l'Assemblée,

"C'est maintenant mon heure", se dit le Béarnais.

La censure aidant, 

Il trépigne, il exige et dit au Président:

"Tu me donnes Matignon sinon je prends le vent."

Et voilà qu'à la fin arrivant rue de Varenne.

Le Béarnais pense déjà à traverser la Seine.

Mais il n'est pas en forme, le temps a bien passé.

En fait, il a vieilli.

Comme tous ses compères il ne peut abdiquer

Il veut tôt la retraite pour tout autre que lui. 

Il se perd dans ses fiches, oublie les notes en marge.

Bafouille à l'Assemblée; on en mène pas large.

Un jour, il y a peu, tenant une conférence,

La presse était là, le sujet d'importance,

Entouré de ministres, il ne sait pas quoi dire.

Retailleau, le lui souffle, en gardant son sourire.

Il cherche son verre d'eau, la parole donne soif.

Il ne le trouve pas, il  n'y a point de carafe.

Madame Borne lui montre, le verre est devant lui,

Il y boit soulagé, oublie de dire "merci".

 

Mirliton passant là se prit à réfléchir:

N'y aurait-il pas ici une ou deux choses à dire.

Ne pas se prendre surtout pour le Roi de la fable,

Simplement raisonner en tâchant d'être aimable.

Et ainsi qu'il le dit, se saisit d'une plume,

Ecrivit appliqué quelques mot sur l'enclume:

" Quand,  à vouloir le ciel on a tout sacrifié,

Qu'on arrive épuisé au bas de l'escalier, 

Tout sage se retourne, avisant son passé

Se dit "Par ma foi, tout bien considéré,

Le parcours est fini.

Il est temps de rentrer,  le pouvoir est parti.

Ce n'est point un malheur,

Que d'arrêter à temps et garder son honneur."