Zucman ?
A supposer que... ce n'est vraiment pas le moment !
Eh bien nous y sommes !
Pour la première fois dans l'histoire de la Vème République, le budget présenté par le gouvernement et modifié par l'assemblée a été rejeté à l'unanimité. Moins une voix, soyons juste, celle de Monsieur Huwart député d'Eure et Loir. Aucun des députés du "camp présidentiel", à supposer qu'il existe encore, ne l'a donc voté.
Il n'y a dans cette affaire aucune cohérence chez ces femmes et ces hommes dont les votes deviennent tristement chaque jour davantage des outils de chantage pour sauver leur siège, c'est à dire leur peau.
J'ai quelques fois envie de crier: "Mais monsieur Faure, la 11 ème circonscription de Seine et Marne on s'en fout ! C'est de la France qu'il s'agit ! "
Même chose pour tant et tant d'autres.
"C'est dans le vide de la pensée que s'inscrit le mal" , Hannah Arendt Les origines du totalitarisme.
Quelle tristesse!
À l'heure où j'écris, on n'y voit donc plus rien, hors le risque de l'accident; comme dans le plus épais des brouillards.
Alors parlons d'autre chose.
La taxe Zucman semble enterrée, mais comme quelques-uns parmi vous m'ont demandé ce que j'en pense, je vous le dois.
Je souhaite toutefois en parler calmement et sans manichéisme. Après tout, Gabriel Zucman est un économiste jeune certes, mais reconnu. Au surplus, Olivier Blanchard ancien chef économiste respecté du FMI que l'on ne peut pas taxer de "mélenchonisme", est favorable à son instauration , en vertu du fait que, comme moi ou, moi comme lui cela est plus décent, "si on demande un effort à la collectivité, il me semble nécessaire de demander aussi un effort aux plus privilégiés". (Interview accordée au Nouvel Observateur.)
Et pourtant, je n'y suis pas favorable pour quelques raisons simples, tirées principalement de ma vieille expérience d'ancien banquier.
Pour rappel, le projet de Gabriel Zucman est de taxer au taux de 2%, chaque année, les patrimoines égaux ou supérieurs à 100 millions d'euros en ce compris le patrimoine professionnel qui, par parenthèse, en constitue l'essentiel.
100 millions, ce n'est pas rien, il est vrai.
200 millions davantage encore.
Et 200 milliards que dire !
Pour Gabriel Zucman, cette taxe rapporterait 25 milliards dans les caisses de l'État. Olivier Blanchard l'estime lui à 10 milliards, c'est déjà plus raisonnable.
On entrevoit le flou et comme dit le proverbe "quand c'est flou, il y a un loup"
Il est bien optimiste en effet, monsieur Zucman.
Sur les 25 plus importantes fortunes professionnelles relevées par le magazine Challenge, 10 sont non-résidentes. Selon mon estimation, cela fait près de 5 milliards de manque à gagner.
J'en connais d'autres, moins importantes, qui ne vivent plus en France. C'est sans doute malheureux mais c'est ainsi.
Pour autant, là n'est pas le sujet essentiel.
L'essentiel selon moi, le voici, dans une conversation que j'ai imaginée avec le jeune économiste.
1) Beaucoup d'actionnaires seront dans l'incapacité de payer la taxe.
Gabriel, - vous permettez que je vous prénomme , je suis un vieux bonhomme vous savez -?. Eh bien je vais vous dire: ce n'est pas parce que vous avez 10 % d'une entreprise estimée à 1milliard qu'elle vous rapporte 2%, c'est à dire 20 millions, après impôts. Les dividendes sont votés par l'assemblée générale des actionnaires, vous le savez. Mais savez-vous que ce vote s'exprime en fonction des résultats dégagés par l'entreprise et de sa capacité à les payer, sans obérer les investissement futurs?
Ils ne sont jamais votés en fonction de la valeur supposée de l'entreprise.
Il est donc fort probable que dans beaucoup de cas, les actionnaires n'auront pas durablement, après impôt je vous le rappelle, les liquidités nécessaires pour payer cette taxe.
Quant aux créateurs de startups, dont les entreprises sont souvent excessivement valorisées alors qu'elles ne dégagent ni trésorerie ni bénéfice et qui , généralement, se paient très raisonnablement, c'est simple: ils ne pourront pas.
C'est exactement comme si vous décidiez de taxer un tennisman prometteur sur la perspective de ce qu'il touchera quand il aura gagné Rolland Garros et Wimbledon.
Reconnaissez que c'est idiot.
2) Dans ce cas, l'État se paierait alors en actions
Qu'à cela ne tienne, monsieur le banquier, ils paieront en nature.
C'est simple, l'assujetti mettra entre les mains de l'État des actions de l'entreprise dont il est actionnaire à hauteur de la contrevaleur nécessaire pour le paiement de cette taxe. Et, je vous rassure, ces actions seront privées de leur droit de vote, afin que l'État n'interfère pas dans la gestion.
Voila, qui est heureux. Mais n'êtes-vous pas quelque peu candide ? Ce qu'une loi a fait une autre peut le défaire.
Mais plus sérieusement Gabriel, c'est de cash dont l'État a besoin pour réduire son déficit. Pas d'actions.
Pas de problème, monsieur. J'y ai pensé. L'État les revendra. Aux salariés par exemple.
Parfait! Mais ceux-ci, à supposer qu'ils en aient les moyens ou qu'ils le veulent, voudront-ils acheter au prix que l'État a payé des actions sans droit de vote ? La réponse est dans le question, je le crains. Évidemment non. Dès lors, soit ils n'achèteront pas c'est le plus probable, soit ils exigeront un rabais et cela entraînera une perte pour l'État.
Dans les deux cas, pardonnez-moi l'expression, l'État sera "marron".
Mais non, car ce n'est pas tout, monsieur. Ils pourront aussi, ces actionnaires en manque de trésorerie, vendre leurs actions à d'autres actionnaires plus fortunés.
Oh cela me paraît fort douteux. On peut imaginer que ceux-ci ne se précipiteront pas pour voir leur addition fiscale augmenter en vertu du rachat des actions de ceux-là.
Ah bon? Le pensez-vous ?
J'en suis certain.
3) Problèmes soulevés par les Pactes d'actionnaires.
Dans les entreprises non cotées, en dehors même des "pactes Dutreil" quand il y en a, les actionnaires sont liés très souvent par des accords en vertu desquels ils prennent des engagements réciproques, notamment de non-cession à un tiers non agréé. L'État en serait évidemment un.
Comment pensez-vous, Gabriel, que l'État gèrera la multiplicité des contentieux qui naîtront inévitablement ?
On ne sait pas. Vous ne le savez pas. D'ailleurs on ne peut pas le savoir.
Je suis économiste, monsieur, sur ce sujet je ne saurais vous dire.
C'est pourtant un vrai sujet Gabriel, croyez-moi.
4) Comment traiter la question épineuse de l'évaluation de la valeur de l'entreprise?
J'ai une autre interrogation Gabriel.
Que vaut une participation dans une entreprise non cotée ?Comment l'évalue-t-on ? Selon quels critères ? Comment tient-on compte de la spécificité des secteurs économiques, de la localisation, de la concurrence, de l'ouverture aux marchés extérieurs , des bouleversements technologiques à venir?
Et comment tient-on compte de la diminution de valeur pour détention d'une part minoritaire du capital de l'entreprise ? Car, comme disait le baron Albert Frère qui était un poète: "Petit minoritaire petit con, gros minoritaire gros con".
Quand l'entreprise est cotée, pas de problème, c'est la valeur de marché. Elle est connue chaque jour, il suffit d'ouvrir son ordinateur, vous le savez bien.
Mais regardez, Gabriel, les fortunes professionnelles qui figurent dans le classement de Challenge; elles sont presque toutes constituées d'actions d'entreprises non cotées.
Je vais vous dire ce qui va se passer. Pardonnez ma prétention, j'ai fait moins d'études que vous, mais j'ai plus d'expérience.
Chaque année le fisc tentera bien normalement, de redresser la valeur forcément raisonnable retenue par l'actionnaire taxable, et chaque année l'actionnaire taxable contestera bien normalement le redressement envisagé.
Les tribunaux, comme s'ils n'avaient que cela à faire, n'y suffiront pas.
Plus grave, arrivera un moment où les actionnaires taxables, en ayant soupé, vendront. À un grand groupe ... non assujetti à la taxe Zucman. Ou à un fonds tout aussi épargné.
Puis ils ficheront le camp.
Réellement, Gabriel, il y a plus malin!
5) La taxe semble devoir au surplus soulever une multitude de problème juridiques
Comme je n'aime pas trop parler de ce que je ne connais pas bien, je n'aborderai pas ici ces sujets qui sont hors de ma compétence. Mais je lis, Gabriel, autant que je le peux; voyez-vous à mon âge on a le temps.
Manifestement, les problèmes juridiques sont très nombreux. Le Conseil constitutionnel, dit-on, trouverait à y redire.
Il est clair, si je lis bien, que les contentieux fleuriront, comme coquelicots en juin.
Gabriel, écoutez-moi.
Vous savez que l'enfer est pavé de bonnes intentions.
Vous êtes un économiste reconnu, vous avez beaucoup travaillé, vos intentions sont louables. Mais voilà, la vie ne se passe pas dans des laboratoires.
Le résultat de l'instauration de la taxe qui porterait votre nom serait clair:
Nous entrerions dans une période de contentieux innombrables préjudiciables à la marche des entreprises. Ils accentueraient davantage encore la méfiance des entrepreneurs vis à vis de la France.
Beaucoup de "pays amis" n'attendent que cela.
Gabriel, je vous l'assure, à supposer que votre projet soit pertinent, vous avez compris que j'en doute, ce n'est vraiment pas le moment.
Bravo pour ce raisonnement ultra rationnel. Mais il ne faut jamais oublier la symbolique des choses qui est au moins aussi importante. Je pense que zucman en a tenu compte dans son raisonnement.
RépondreSupprimerMerci merci de ta clarté sans faille. Les failles on en a soupé! Voir ci dessus.
RépondreSupprimerMaï H-H