Cher Eskandar, (*)
Je t'écris de Paris.
Le voyage fut long comme tu l'imagines, mais ma vieille Peugeot a rempli son office pendant les dix jours que m'a pris le voyage.
Sortir d'Iran fut périlleux. Mais enfin cela a pu se faire, avec l'aide de Dieu qui nous a pourtant bien oubliés.
" En quelque religion qu'on vive, dès qu'on en suppose une, il faut bien que l'on suppose aussi que Dieu aime les hommes puisqu'il établit une religion pour les rendre heureux" avait écrit depuis Paris le Seigneur Usbek mon ancêtre vénéré dans une de ses nombreuses lettres .
Qu'a-t-on fait pour qu'il nous aime si peu ?
J'ai donc fui les bombes d'Israël et les prisons de l'Ayatollah numéro 2, laissant un fils que l'on a pendu dans sa cellule parce qu'il protestait; je n'ai jamais pu récupérer son corps, comme s'il n'avait jamais existé. Ma femme est morte de chagrin.
J'aurais dû faire comme toi. Partir il y a longtemps. Elham et Feriel seraient toujours à mes côtés. Honte à moi.
Je veux d'abord t'écrire ceci car je sais tes interrogations légitimes, toi, qui vis en Turquie:
Non, je ne suis pas allé à Neauphle-le-Château d'où sont partis nos malheurs. Le souvenir de ceux que j'aimais m'en a empêché. J'aurais craché devant le porte du 23 route de Chevreuse où l'Ayatollah numéro 1 séjourna avant de s'envoler pour Téhéran dans un avion que la France avait mis à sa disposition.
C'est un trait des français et de ses chefs très particulièrement, que de vouloir se distinguer et de faire la leçon.
Il y a chez eux une sorte de snobisme de démonstration caché sous des raisonnements sophistiqués en apparence, mais superficiels en réalité. Nous en a vu le prix.
Manuchehr le généreux me loge. Son diplôme de pédiatrie lui a permis de trouver un emploi il y a douze ans maintenant et d'être naturalisé français. Tu aurais été heureux de le connaître.
Avant de me poser à Paris, j'ai visité ce pays magnifique doté de terres généreuses , bordé par des mers et des montagnes, produisant du blé, du maïs, des fruits en abondance et des vins somptueux; les meilleurs du monde.
Les universités sont nombreuses et les écoles aussi qui forment à tout ce que l'homme peut souhaiter apprendre.
Ils ont des banques puissantes et des usines modernes.
Quant à la médecine, mon ami, c'est une des meilleures qui soient, Manuchehr me l'a affirmé.
Les femmes enfin, Eskandar, sont aussi belles que les nôtres mais vont tête nue, les jambes découvertes et la poitrine au vent.
La France est le pays pour être heureux je t'assure.
Et pourtant !
Il n'y a plus d'argent dans les caisses, la dette est considérable et les français sont tristes.
Plus tristes que nous cher Eskandar.
Un de leurs plus grands écrivains, Albert Camus, a écrit:
" Tant de richesses et si peu de gaité".
Comprends-tu cela ?
C'est je crois qu'ils n'ont guère d'espoir alors que nous en avons. Nous sommes malheureux des souffrances que l'on nous inflige mais nous ne sommes heureux de l'espérance du jour où elles cesseront.
Eux n'espèrent plus grand chose. Ils n'ont plus confiance dans leurs princes qui au lieu de bien gouverner se chamaillent pour des riens et achètent leurs soutiens par des facilités misérables. Imagine par exemple que monsieur Retailleau, le président d'un parti devenu minuscule qui s'appelle Les Républicains, vient de nommer sept vice-présidents !
Un ami de Manuchehr m'a dit le sourire triste, "Sans doute chacun d'eux travaillera-t-il un jour par semaine", et citant Rica le jeune compagnon de voyage de mon ancêtre vénéré:
"Ne sentirons nous jamais que le ridicule des autres ?".
Puis, accablé, il ajouta:
- N'imaginez pas, Monsieur, pouvoir vous installer ici , tout éminent physicien que vous êtes. Le vent est au rejet.
(*) Tristement inspiré des Lettres persanes de Monsieur Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu.
Montesquieu serait bien triste : peut-on avoir de plus en plus raison? Cela ne se dit pas, Monsieur, cela se vit.
RépondreSupprimerMagnifique Maï HH
SupprimerPs. Maï H-H
RépondreSupprimerUn jour de travail par semaine c'est trop il me semble qu'il avait 13 vice présidents plus le chef 1 jour toutes les deux semaines !
RépondreSupprimerPas de soucis nous avons un vieux briscard "F Bayrou" qui va nous faire les poches en échappant à une nouvelle motion de censure ! L'immobilisme est en marche rien ne l'arrêtera .
PH
Cher PH, j'aime votre formule. Je me demande s'il ne court pas. L'année blanche que notre brillant premier ministre évoque c'est un peu cela
SupprimerFaut-il souffrir pour espérer ? Bien sûr.
RépondreSupprimerToute création artistique, la musique, la peinture, l'écriture n'est que ce besoin de souvent sublimer l'insoutenable.
Hélas, le monde politique, intéressé que par lui-même, oublie le ridicule de ses manœuvres en espérant tirer profit de la situation et garder ce pouvoir que le peuple leur aurait confié. Désespérant. Jp
Cher JP, Il faut rire quand même, cela aide. J'imagine Coluche dans le temps présent, c'eut été magistral.
Supprimer