L'Ours et le Paon
Un Ours en sa tanière avisait un terrier.
Un autre, avant lui, l'avait laissé filer.
Ce logis était mince, y vivaient des lapins,
Heureux, et gambadant. Les carottes poussaient,
La terre étant fertile, on y trouvait du blé.
Leurs voisins alentour étaient tous des alliés.
Point n’était tant besoin, car les lapins sont sages.
Ils font leur besogne et ne veulent point la guerre.
Mais l’Ours était méchant, envieux et criminel,
Menteur, froid comme une lame, martyrisant ses pages,
Il voulait ce terrier, et avec lui la terre,
Et son blé, ses carottes, ses ruches et puis son miel.
« Que peuvent ces animaux si petits et peureux ?
En quelque jours j’aurai avec l'aide des dieux ,
De mes vils mercenaires et de mes braves bandits,
Massacré ces lapins, récupéré les lieux. »
Les voisins terrifiés, ne surent trop comment faire,
Se dirent consternés par une telle invasion.
Ils se parlaient beaucoup, envoyaient quelques vivres,
L’Ours n’avait pas peur, car parler n’est que givre.
"Ce qu’il faut, disait-il, c’est être militaire".
Les lapins le surprirent. Se battant comme des lions,
Courant, tendant des pièges, dressant haut leur fanion,
Trouvant mille et mille ruses et autres entourloupes.
Étourdissant les troupes,
Ils trompaient le barbare et ses brigands armés.
La guerre allait durer .
Un Paon de vielle souche, ventru, et fatigué,
Le visage rougi par les lampes à bronzer,
Qui avec des briques s’était fort enrichi, souvent de façon louche,
Rendit visite à l’Ours, plastronnant comme d’usage.
Il attendait de tous qu'ils lui baisent les babouches.
« Regarde qui je suis, avise mon plumage !
Que font tes lourds soldats dans la course aux lapins!
Il suffit que je vienne et convoque leur chef,
Le tance et menace de le priver de pain.
Dis-moi ce que tu veux, expose tes griefs.
Les lapins, peu m’importe.
Je sais faire mon ami, avec la manière forte.
Mais comme toute peine mérite récompense,
Sur les terres des lapins je veux remplir ma panse. »
L’autre se dit « Quel sot ! Il suffit de sourire,
De dire que je l’admire.
Ce que je lui donnerai, n’est rien bien au contraire,
Ses profits misérables enrichiront ma terre. »
« Très bien, lui dit notre Ours, tu es un bel oiseau,
Le plus beau, le plus fort, le plus intelligent ! »
« Le plus riche aussi !» lui dit cet imbécile,
« Certainement lui dit l’autre », bien plus riche que lui,
Des sommes détournées depuis plus de trente ans,
Sur le dos de son peuple pillé par des serviles,
Qu’il tenait dans sa patte, comme on sert un moineau.
« Mais je veux quelques terres, car j’ai eu de la peine.
Aperçois-tu là-bas ce qui est dans la brume?
Ces bois que tu vois là se nomme une garenne ;
Si tu me la procures, je signe de ma plume,
Une paix fort durable et te récompenserai
De quelques belles affaires pour le prix de cette paix. »
Ainsi fit notre oiseau aussi bête que riche,
Promettant aux plus faibles sa forte protection.
"L'Ours leur dit-il, me craint fort dans l'action."
Puis quelques temps plus tard, renversant son propos,
Menaça leur chef et puis le priva d'eau.
Les lapins assoiffés , sans pain et sans carotte,
S’assirent à la table. Leur chef n’en pouvait mais.
Il savait bien pourtant que comme fragile potiche,
La paix durerait peu; le temps que dure un vote.
Le Paon tout à son aise, plastronnant au plus haut,
S’en retourna chez lui où sa cour l’attendait.
Quelques semaines plus tard, alors qu’il faisait chaud,
L’Ours voulut davantage. Et ainsi chaque été.
La Paon devenu vieux, ayant fait son profit,
Se disait « après tout, l’Ours est un bon compère.
Il m’a fait quelque place, j’ai fait de belles affaires.
Une parole n’est rien, sauf si elle m’enrichit. »
Le temps avait passé,
L'Ours était très puissant.
Le Paon méprisé n'avait que son argent.
C'est un âge pourtant où cela ne compte guère,
Que voulez-vous qu'on fasse lorsqu'on est grabataire.
Incontinent, gouteux, inventant des caprices,
Une casquette orange sur ses cheveux jaunis,
Il était fort miteux caché sous une pelisse.
S'appuyant sur une canne à pommeau d'ambre,
Le vieux paon piétinait, tenu jusqu'à sa chambre
Par une mexicaine, qui le mettrait lit.
Le regard haineux, sans femmes et sans amis,
Il attendait la mort, l’appelant avec rage.
Elle le faisait attendre, pour qu’il souffre davantage.
Quand on trahit les siens,
Qu'on n'aime que soit-même,
Qu'on ne célèbre qu'un culte, celui du billet vert,
Les dieux, mauvais chrétiens,
Se rient de vos misères,
Et vous laissent souffrir plus longtemps que carême.
(*) Fort libre adaptation de Le Paon et le Choucas , fable